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Décès du Pape François: ...leaders religieux et autres

Société
Théodore C. Loko Théodore C. Loko

Introduction

Dans la tradition chrétienne, les relations diplomatiques avec le Saint-Siège ne sont pas de simples exercices protocolaires: elles traduisent une rencontre entre les nations et la conscience spirituelle de l’humanité. Mon service en tant qu’ambassadeur du Bénin près le Saint-Siège (2010-2016) m’a permis de côtoyer le Pape François dès les premiers jours de son pontificat. À travers trois expériences fortes, j’ai découvert non seulement un homme d’Église habité par la tradition vivante de l’Évangile, mais aussi un visionnaire aux gestes prophétiques et profondément humains.

Par   ancien ambassadeur du Bénin près le Saint-Siège Ambassadeur Dr. Théodore C. LOKO (à la retraite) Enseignant-chercheur, le 22 avr. 2025 à 14h21 Durée 3 min.
#Pape François

I- Une mémoire ecclésiale incarnée : le pape François et le cardinal Bernardin Gantin

Lors de sa première audience avec le Corps diplomatique, en mars 2013, le Saint-Père m’a glissé ces paroles, discrètes mais bouleversantes : « Le cardinal Gantin est un saint homme. »

Ce jugement, chargé d’autorité spirituelle, témoigne de la capacité du Pape François à reconnaître la sainteté là où elle s’est déployée dans le service caché et l’humilité. Le cardinal Bernardin Gantin (1922–2008), fils du Bénin, fut l’un des premiers Africains à accéder aux plus hautes fonctions de la Curie romaine. Il a servi six pontificats, avec discrétion et sagesse. Dans Gaudete et Exsultate, le Pape François rappelle que la sainteté n’est pas réservée à quelques privilégiés, mais qu’elle est souvent cachée dans « la classe moyenne de la sainteté » (n° 7), ces hommes et femmes qui ont servi dans l’ombre, en fidélité. Cette vision rejoint la tradition patristique. Saint Irénée écrivait déjà :

« La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu » (Contre les hérésies, IV, 20, 7).

La reconnaissance implicite du Pape ouvre une voie : que la mémoire ecclésiale africaine, longtemps périphérique, soit intégrée dans le cœur vivant de la sainteté universelle.

II- Un gouvernement pastoral fondé sur le discernement personnel

L’Église n’est pas une bureaucratie spirituelle. Elle est le peuple de Dieu en chemin, et son gouvernement doit refléter ce mouvement de discernement. Lors de la préparation de la visite officielle du Président de la République du Bénin au Vatican, j’ai découvert un aspect peu connu mais profondément révélateur du style de François : le Pape lui-même étudie personnellement les dossiers et décide des dates des audiences, même si une date avait déjà été convenue avec les services diplomatiques.

Cette implication directe a provoqué une tension logistique jusqu’à m’occasionner une nuit blanche mais elle témoigne surtout d’une théologie du gouvernement que François a théorisée dès Evangelii Gaudium : « Le vrai pouvoir est le service » (n° 55), et plus loin : « Un pasteur doit avoir l’odeur de ses brebis » (n° 24), en référence à sa fameuse homélie chrismale du 28 mars 2013.

C’est aussi l’écho d’une ecclésiologie trinitaire que saint Grégoire de Nazianze décrivait comme un équilibre entre l’unité et la personne : « Ce qui n’est pas assumé n’est pas guéri» (Lettre 101).

Ainsi, en assumant personnellement les charges de gouvernement, le Saint-Père guérit la distance entre le sommet et la base, entre le protocole et la pastorale.

III- Un cœur de père : compassion et louange pour la famille

À la fin de ma mission diplomatique, accompagné de mes deux enfants Dyane (1981) et Jean-Yves (1983), d’un petit-fils (Roman RYSAVY) et de mon épouse Bernice, j’ai vécu un moment de grâce : le Pape, voyant mes deux enfants, s’enquit de leur situation professionnelle.

Apprenant qu’ils œuvrent tous deux dans la haute administration financière internationale, il leva les yeux au ciel et rendit grâce à Dieu.

Ce geste, que seul un cœur pastoral peut poser dans la spontanéité, incarne la doctrine chrétienne de la famille comme communauté d’alliance et de mission. Dans Amoris Laetitia, François insiste sur la beauté de cette communion : « Chaque famille est une lumière dans l’obscurité du monde » (n° 66).

Il y rappelle également que «la spiritualité familiale est faite de milliers de gestes réels et concrets» (n° 315).

La gratitude du Pape reflète aussi une théologie trinitaire de la reconnaissance. Saint Jean Chrysostome, parlant de la vie familiale, affirmait : «Fais de ta maison une petite Église» (Homélie sur l’épître aux Éphésiens, XX).

En louant Dieu pour la vocation professionnelle de mes enfants, François reconnaissait que la grâce se déploie aussi dans les structures du monde économique, un domaine qu’il invite à évangéliser non par la condamnation, mais par l’intégration et la présence chrétienne (Fratelli Tutti, n° 123-124).

Conclusion

Le Pape François est un pasteur habité par l’Évangile vécu, un homme d’Église enraciné dans la tradition et pourtant ouvert à la nouveauté de l’Esprit. Mon expérience diplomatique m’a permis de percevoir trois de ses grandes qualités :

• Sa mémoire spirituelle des saints vivants et cachés, telle que manifestée dans son hommage au cardinal Gantin.

• Son mode de gouvernement personnel et discernant, à l’image du Bon Pasteur.

• Son regard profondément paternel sur la famille, enraciné dans une théologie de la louange et de la compassion.

À travers ces signes concrets, j’ai vu s’incarner en lui cette Église «en sortie » qu’il appelait de ses vœux, selon les mots du Concile Vatican II : « L’Église se sait inséparablement liée à l’humanité et à son histoire » (Gaudium et Spes, n° 1)

Par un ancien ambassadeur du Bénin près le Saint-Siège
Ambassadeur Dr. Théodore C. LOKO (à la retraite)
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