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Niché dans l'ouest de Pékin, le Parc scientifique et technologique de Zhongguancun, souvent surnommé la "Silicon Valley chinoise", n'est pas seulement un centre d'innovation. C'est le laboratoire vivant où l'avenir de la Chine technologique se construit, pièce par pièce, algorithme par algorithme. Une visite de ses installations, ce jeudi 13 novembre, offre un aperçu des révolutions qui façonneront les prochaines décennies, de la santé humaine à l'exploration spatiale.
Au cœur de la transformation technologique se trouve la capacité à comprendre et à manipuler le monde à l'échelle la plus fondamentale. Deux technologies exposées à Zhongguancun illustrent cette quête de maîtrise. Il s’agit de la spectrométrie de masse de nouvelle génération et de la cytométrie en flux intelligente. Développé par Beijing Biic Intelligent Technology Co., Ltd., le spectromètre de masse tandem à mobilité ionique, quadripôle et temps de vol haute résolution HMS-7680 représente une prouesse d'ingénierie de précision. Cette machine, qui intègre un chromatographe liquide, un séparateur de mobilité ionique et un analyseur de masse à temps de vol, est bien plus qu'un simple instrument de laboratoire. C'est un système d'investigation moléculaire aux applications quasi illimitées. Dans la lutte contre les maladies, le Hms-7680 agit comme un détective traquant les coupables invisibles. En analysant les changements moléculaires infimes dans des échantillons biologiques (sang, tissus), il permet d'identifier des biomarqueurs spécifiques associés à des pathologies comme le cancer, les maladies neurodégénératives ou les troubles métaboliques. Cette capacité est fondamentale pour le développement de thérapies ciblées. Au lieu de traiter une maladie de manière générique, les chercheurs peuvent désormais comprendre son mécanisme pathogénique unique chez un individu et concevoir des traitements sur mesure. Le processus de recherche et développement de médicaments, traditionnellement long et coûteux, est considérablement accéléré. Le HMS-7680 permet une analyse d'une précision inégalée de la composition et de la pureté des candidats-médicaments. Plus crucial encore, il peut tracer le parcours métabolique d'un médicament dans l'organisme, identifiant comment il est absorbé, transformé et éliminé. Ces données sont indispensables pour déterminer la posologie optimale, évaluer la toxicité et s'assurer de l'efficacité du traitement, réduisant ainsi le temps et les coûts des essais cliniques.
Dans le domaine de la sécurité alimentaire et environnementale, l'appareil sert de garde-fiole technologique pour la société. Dans le domaine alimentaire, il détecte avec une sensibilité extrême les résidus de pesticides, les médicaments vétérinaires interdits ou les additifs dangereux, garantissant l'innocuité de ce qui atterrit dans notre assiette. Pour la surveillance environnementale, il devient une sentinelle invisible, capable d'analyser la composition des particules fines dans l'air, des polluants organiques dans l'eau ou des métaux lourds dans le sol. Lorsqu'il est question de détecter des composés organiques volatils (Cov) dans l'atmosphère, des précurseurs de la pollution à l'ozone, le HMS-7680 ne se contente pas de les détecter. Il en identifie la signature moléculaire exacte et la concentration, fournissant aux autorités des données irréfutables pour élaborer des politiques de protection environnementale.
La cartographie intelligente du vivant
Si le spectromètre de masse analyse les molécules, le cytomètre en flux, lui, étudie les cellules, les briques fondamentales de la vie. Beijing Challen Bio a poussé cette technologie à son paroxysme avec ses cytomètres haut de gamme allant jusqu'à 5 lasers. Leur plateforme CytoStellar™ est un exemple frappant de la fusion entre la biologie et l'intelligence artificielle. En recherche biomédicale, la fiabilité des données est primordiale. Le système CytoStellar™ permet de mesurer avec une exactitude remarquable une multitude de paramètres cellulaires à savoir: la taille, la granularité, la complexité de la structure interne, et la présence de dizaines de marqueurs protéiques à la surface. C'est comme attribuer à chaque cellule une "carte d'identité" détaillée, permettant aux chercheurs de distinguer une cellule immunitaire saine d'une cellule cancéreuse, ou de suivre l'activation d'un lymphocyte T en réponse à une infection. Cette révolution réside dans la capacité à analyser simultanément des dizaines de paramètres sur des milliers de cellules par seconde. Les instruments traditionnels étaient limités, offrant une vision tunnel. Le CytoStellar™, lui, offre une vision panoramique et multidimensionnelle. L'intelligence artificielle intervient pour déchiffrer cette complexité. Les algorithmes optimisent automatiquement les paramètres des expériences, simplifiant un travail autrefois réservé à des experts. Surtout, l'Ia est capable de repérer des patterns et des corrélations subtils dans les données cellulaires qui échapperaient à l'œil humain, pouvant ainsi identifier de nouveaux sous-types cellulaires ou prédire la réponse d'un patient à une immunothérapie.
Au-delà de l'analyse, la plus grande disruption vient de la capacité à concevoir et à découvrir grâce à l'IA. Le "Super laboratoire AI for science" (IA pour la Science, ou AI4S) représente un changement de paradigme fondamental dans la méthodologie scientifique. Le concept est simple dans son ambition, mais révolutionnaire dans son exécution. Il s’agit d’appliquer pleinement l'IA au processus de recherche scientifique lui-même. Il s'agit également d'utiliser l'apprentissage profond et d'autres algorithmes pour traiter des volumes massifs de données scientifiques, effectuer des simulations complexes à une vitesse inimaginable, et même proposer des hypothèses et concevoir des expériences virtuelles. La plateforme AI4S de Dp Technology en est une illustration concrète. Ce n'est pas un simple outil, mais un "système de conception et de simulation industrielle à micro-échelle" qui s'attaque à des problèmes de R&D dans des domaines aussi variés que la conception de batteries, la science des matériaux, et la découverte de médicaments.
Le développement du matériau de carrosserie "Alliage Titan" pour la voiture électrique Xiaomi SU7 est l'exemple parfait de l'impact tangible d'AI4S. Ce matériau, écologique, à haute résistance et ne nécessitant pas de traitement thermique, n'aurait pas pu être développé aussi rapidement par les méthodes traditionnelles. Le processus fut le suivant. L'équipe de R&D de Xiaomi a défini les propriétés souhaitées pour son alliage. Au lieu de procéder par essais et erreurs en laboratoire, elle a utilisé son système d'IA pour modéliser et cribler virtuellement 10,16 millions de formulations potentielles. L'algorithme, en apprenant des bases de données existantes sur les propriétés des matériaux, a pu prédire les performances de chaque combinaison, réduisant les candidates à seulement deux formulations prometteuses. Les ingénieurs n'ont ensuite eu qu'à valider ces candidates par 1 550 cycles d'échantillonnage et de tests physiques. Le résultat est éloquent. Bien que basé sur l'aluminium, l'ajout d'oligo-éléments optimisés par l'IA a permis de réduire le poids du véhicule de 17 % et le temps de production de 45 %. Cet exemple marque l'avènement des "matériaux intelligents", conçus sur mesure pour des applications spécifiques, repoussant les limites de la performance tout en réduisant les coûts et l'impact environnemental.
L'aérospatiale commerciale
Zhongguancun ne regarde pas seulement vers le microscopique. Il vise aussi les étoiles. La zone d'exposition sur l'aérospatiale commerciale témoigne de l'ambition chinoise de devenir une puissance spatiale privée de premier plan, avec Pékin concentrant plus de 70 % des entreprises nationales de fusées commerciales. LandSpace, fondée en 2015, en est le fer de lance. Son exploit avec la fusée Zhuque-2, devenue en 2023 le premier lanceur au monde à propergols liquides oxygène/méthane à atteindre l'orbite, a marqué l'histoire. Le choix du méthane est stratégique. Il est moins cher, plus performant et permet une réutilisabilité plus aisée que le kérosène traditionnel. Mais le véritable game-changer est le projet Zhuque-3. Ce lanceur réutilisable de 4,5 mètres de diamètre, dont le premier étage est conçu pour être utilisé jusqu'à 20 fois, promet de révolutionner l'économie du spatial. L'objectif est de réduire le coût de lancement en deçà de 20 000 yuans (environ 2 500 euros) par kilogramme en orbite. Atteindre ce seuil représenterait le "moment machine de lithographie" de l'aérospatiale commerciale. Une rupture technologique abaissant radicalement le coût d'accès à l'espace. Cela ouvrirait la voie au déploiement à grande échelle de constellations de satellites (notamment pour l'Internet par satellite) et à une exploitation commerciale durable de l'orbite terrestre, soutenant directement les stratégies spatiales nationales.
De retour sur Terre, les innovations de Zhongguancun transforment également des industries traditionnelles. Le système de broderie intelligente en cloud de Dahao Technology fusionne l'artisanat traditionnel avec le numérique et l'Ia. Il permet à quiconque de concevoir un motif via une plateforme cloud, de le dessiner à main levée, ou même de le gribouiller, pour que le système le transforme automatiquement en un programme de broderie exécuté avec précision par une machine. Cette technologie démocratise la personnalisation de masse, permettant aux particuliers comme aux entreprises de customiser vêtements, accessoires ou articles promotionnels de manière rapide et abordable.
Le système de simulation panoramique immersive en réalité augmentée (RA) de Leyard est en train aussi de révolutionner l'industrie du cinéma et de la télévision. En combinant l'affichage stéréoscopique multi-canaux, la capture de mouvement et la jonction parfaite d'écrans Led, il permet de créer des environnements virtuels photoréalistes et dynamiques dans un studio. Finis les décors physiques coûteux et limités. Les réalisateurs peuvent désormais plonger leurs acteurs dans une jungle, une ville futuriste ou un vaisseau spatial en temps réel. L'image de fond s'adaptant parfaitement aux mouvements de la caméra grâce à un suivi infrarouge de précision. Cette technologie, déjà éprouvée lors d'événements majeurs comme les JO de Pékin 2022, redéfinit les frontières de la production audiovisuelle.
L'écosystème Douyin
L'influence de l'Ia dépasse les laboratoires et les usines. Elle façonne la culture et l'économie quotidienne. Avec plus de 600 millions d'utilisateurs actifs quotidiens, Douyin est bien plus qu'une plateforme de divertissement. C'est un écosystème économique et culturel piloté par des algorithmes de recommandation d'une redoutable efficacité. Les sections "Douyin E-commerce" et "Douyin Lifestyle Service" utilisent la technologie de recommandation basée sur les centres d'intérêt pour connecter les utilisateurs avec les produits et services qu'ils désirent, souvent avant même qu'ils n'en aient conscience. En 2023, cette activité a généré 68,34 millions d'opportunités de revenus, stimulant l'entrepreneuriat et le commerce local. La plateforme est devenue un canal vital pour la vente au détail et les services, dynamisant l'économie réelle. Des initiatives comme "Douyin in Museum" utilisent la plateforme pour la vulgarisation scientifique et la promotion du patrimoine culturel, rendant la connaissance accessible à des centaines de millions de personnes. Douyin internalise la révolution Ia avec son chatbot Doubao, capable de générer du contenu et de traiter des documents, et l'outil de montage vidéo Capcut, qui utilise l'Ia pour automatiser les tâches fastidieuses comme l'identification des plans clés ou la synchronisation musicale. Ces outils abaissent la barrière technique à la création, permettant à tout un chacun de produire du contenu de qualité professionnelle.
Enfin, la section la plus futuriste de Zhongguancun est peut-être celle consacrée aux sciences du cerveau. Neucyber Neurotech s'attaque à l'un des plus grands défis scientifiques. Il s’agit de l'interface cerveau-ordinateur (Bci). Calqué sur les technologies de microélectrodes flexibles les plus avancées, ce système implante des électrodes minuscules et flexibles dans le cortex cérébral pour enregistrer l'activité de neurones individuels avec une précision inégalée. Les dommages tissulaux sont minimisés. La preuve de concept est déjà là. Une version à 1024 canaux a permis à un singe de contrôler mentalement un bras virtuel pour intercepter une cible mobile. Il génère aussi le neuCyber Matrix Bmi (Semi-Invasif) qui est un système, moins invasif, utilisant des électrodes corticales haute densité et des algorithmes de décodage neuronal de pointe pour traduire les signaux cérébraux en commandes en temps réel pour des exosquelettes ou autres dispositifs. Son potentiel est immense pour la médecine régénérative. Il est déjà testé sur des patients aphasiques (incapables de parler) suite à une sclérose latérale amyotrophique (Sla), avec l'objectif de restaurer leur capacité à communiquer en décodant directement leur "langage cérébral".
Le laboratoire vivant où l'avenir de la Chine technologique se construit, pièce par pièce, algorithme par algorithme