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Audrey Guiral-Naepels, responsable développement Urbain de l’Afd: « Les inondations représentent 65 % des risques naturels sur le continent »

Environnement
Audrey Guiral-Naepels Audrey Guiral-Naepels

Cotonou a récemment accueilli un atelier régional sur les villes durables, précisément la gestion intégrée des inondations en milieu urbain. Audrey Guiral-Naepels, responsable de la division développement Urbain, Aménagement logement au sein de l’Agence française de développement, y a pris part. Elle revient ici sur pourquoi la gestion intégrée des risques d’inondation préoccupe les dirigeants et les bailleurs.

Par   Ariel GBAGUIDI, le 25 sept. 2025 à 07h49 Durée 3 min.
#développement Urbain #Afd

La Nation : Vous sortez de l’atelier coorganisé par la Banque mondiale et l’Agence française de développement sur les villes durables, notamment la gestion intégrée des risques d'inondation sur le continent africain. Pourquoi ce sujet préoccupe ?

Audrey Guiral-Naepels : Tout d'abord, ce qu'il est très important de savoir, c'est que les villes africaines font face à une croissance démographique qui est extrêmement importante. C'est 4 % par an et c’est la croissance la plus rapide du monde. Cette croissance pose beaucoup de risques, parce qu'elle intervient notamment dans un contexte de changement climatique. Ce contexte de changement climatique multiplie et accélère les risques liés aux catastrophes naturelles. Et au sein de ces risques, le premier qui frappe les villes africaines aujourd'hui, c'est le risque d'inondation. Sur le continent africain, ça représente 65 % des risques naturels, par rapport aux fortes chaleurs et aux sécheresses. C'est vraiment le premier risque, les inondations, et c'est le plus impactant.

C'est pour cela qu'on s'intéresse énormément à cette question, parce que pour nous, elle est au cœur des questions de résilience et d'adaptation des villes au changement climatique. Mais elle est aussi au cœur des questions de qualité de vie et de sûreté pour les habitants qui vivent dans des villes sûres, vivables, durables. Et c'est une question qui est très importante aussi pour tous les décideurs et toutes les politiques publiques, parce qu'elle se pense à l'échelle nationale, sur des plans de prévention et de gestion de risques. Elle se pense à l'échelle régionale pour comprendre d'où viennent les risques d'inondation, qu'est-ce qui va affecter un territoire. Et elle se résout à l'échelle locale, sur des investissements que vont faire les villes et qui vont leur permettre de mettre leurs populations en sécurité, d'améliorer la qualité de vie et d'être globalement plus forts aussi face aux menaces du changement climatique.

Concrètement, quels sont les points clés ou les aspects autour desquels les échanges se sont déroulés ?

C'était tout simplement une semaine de formation qui comprenait à la fois des séquences avec des experts qui s’interrogeaient sur le partage d'informations, sur comment comprendre les risques d'inondation. Il y a eu des visites de sites, des ateliers de travail et des ateliers présentés par les villes elles-mêmes qui, fortes de ce qu'elles avaient appris, travaillaient sur comment déployer ces solutions sur les territoires.

Parmi les points clés avec lesquels les participants repartent, il y a pas mal de notions. Il y a la notion de réfléchir à une planification urbaine qui prenne en compte les risques, c'est très important. Il y a la question d'avoir des données, d'être capables de modéliser la forme que prend ce risque. Les données, c'est très concret, c'est les précipitations, c'est la vitesse des cours d'eau, c'est quelle est la nature du sol, est-ce que l'eau va ruisseler ? Est-ce qu'elle va s'infiltrer quand elle ruisselle, on sait que c'est là que ça provoque des inondations? Quelle est la nature et la qualité des infrastructures qui existent ? Est-ce qu'on a des drains ? Nous (en Occident), c’est souvent le cas, on a des drains qui sont bouchés par des déchets, et auquel cas ça démultiplie les risques d'inondation. Donc, toute cette analyse du contexte a été faite.

Ensuite, on a travaillé aussi dans les messages, les éléments clés sûrs. Une fois qu'on s'est dit ça, on se demande quelles sont les solutions. Les solutions, ça va être à la fois de travailler sur des dispositifs de monitoring sur les risques d'inondation, des dispositifs d'alerte sur les risques d'inondation pour mettre la population en sécurité. Il y a des solutions qui sont au niveau des infrastructures, faire plus de canalisations, des drainages.

Il y a des solutions qui sont extrêmement importantes, qu'on appelle les solutions fondées sur la nature, et qui, elles, consistent à limiter aussi les risques, donc, à garder des espaces, comme par exemple des espaces verts, qui, en cas d'inondation, vont être capables de retenir l'eau et de favoriser l'infiltration de l'eau.

Et en fait, c'est une manière de repenser aussi les villes. En se défendant contre l'eau, en essayant de ne l'emmener que dans des canaux ou des drains, on conçoit les villes en apprenant à vivre avec l'eau, à l'intégrer dans le développement urbain, et à faire aussi de ces zones où l'eau peut s'étendre des zones qui contribuent à la qualité de vie des habitants. Parce que, par exemple, quand vous faites un grand espace vert réservé, il sert, en cas d'inondation, de réserve d'eau, et quand il n'y a pas d'inondation, c'est un espace vert et un espace récréatif pour les habitants.

C'est sur ce type de solution qu'on a travaillé avec les participants. On a aussi parlé avec eux de comment c'est important d'accéder à des financements pour pouvoir développer ce genre de programme dans leurs villes. Comment des partenaires techniques et financiers comme la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et l'Agence française de développement peuvent les aider à la fois pour préparer ces projets, et puis derrière pour les financer et pour les mettre en œuvre avec aussi des actions de formation. On a aussi beaucoup parlé de la question très importante de comment on gère ultérieurement les infrastructures, comment on les entretient, ce qui est aussi un point-clé de succès dans ce type de projet.

En quoi cet atelier était important pour vous bailleurs de fonds ? Quand une ville viendra vers vous avec un projet, qu'est-ce que vous allez considérer dans ce projet ?

Je vous parlais de visites de sites. Très concrètement, ici au Bénin, on est allé voir un projet qui a été financé par l'Agence française de développement et le Fonds français pour l'environnement, qui est le projet « Porto-Novo Ville Verte ». C'est un projet qui est hyper intéressant parce que c’est une initiative par laquelle on a concrètement accompagné la mairie de Porto-Novo sur ce qu'on referait avec une autre mairie de la même façon.

Comment on planifie le développement urbain ? Comment on répond à l'amélioration de la qualité de vie des habitants dans un site très sensible qui est le bord de la mangrove au bord du lac Nokoué, un site où il y a des pêcheurs et des agriculteurs, où il y a des quartiers qui manquaient d'infrastructures de base et d'assainissement. Mais aussi comment on mobilise la population sur un tel projet, qui est un élément extrêmement important. Et à Porto-Novo, ça a été particulièrement important parce que c'est un projet qui a vraiment été fait avec les habitants sur un certain nombre de choix d'investissement, d'aménagement, pour révéler la culture.

C'est une dimension qui est aussi importante pour le territoire puisqu'il y a des aménagements qui ont été faits sur les places autour des couvents vodoun. Et c'est un projet déployé par la ville elle-même, qui a été porté par son maire, et ses services. Donc, ça a pris du temps, parce que ce ne sont pas des projets toujours simples, mais les impacts sont là.

Et donc, c'est ce type de projet que nous avons vocation à accompagner, c'est-à-dire des projets qui répondent à la fois à des enjeux de durabilité, d'adaptation au changement climatique, à des enjeux d'amélioration de la qualité de vie des habitants et à des enjeux de renforcement des institutions. Faire pour qu'on ait une ville qui a des outils de planification et qui est plus forte après ce projet. C'est ce genre de projet que nous sommes en mesure d'accompagner. On est très heureux de pouvoir accompagner parce qu'on est convaincus des impacts sur le territoire.

Au-delà de la coopération Sud-Sud, a-t-il été question de comment les villes occidentales accompagnent les villes du Sud toujours en matière de meilleures pratiques pour prévenir et gérer les inondations ?

L'atelier permet des échanges d'expériences, de s'inspirer, de se dire que c'est faisable, que c'est possible, de voir ce qu'une autre ville a fait, de la ramener chez soi et de se dire si Porto- Novo l'a fait, je vais pouvoir faire le même type d'aménagement dans ma ville. C'est assez inspirant.

Pour nous, c'est important, parce qu'on est quand même assez convaincus qu'il y a des contextes qui se ressemblent. Ça permet aussi de travailler sur les mêmes types de solutions et d'approches. On a eu aussi une présentation des travaux de modélisation réalisés par la ville du Cap, en Afrique du Sud, sur la gestion de leurs risques côtiers. Ça a tout à fait inspiré la région de Nouakchott, en Mauritanie, qui rencontre le même type d'aléas sur les résidus d'inondations, sur les eaux de submersion marine et qui était extrêmement intéressée de voir que ces  types de travaux de modélisation peuvent être faits et que ce seraient des éléments dont elle aura extrêmement besoin pour l'aide à la décision. Après, on apporte aussi, autant que de besoin, l'expérience qui peut venir des régions du Nord, l'expertise qu'on a, notamment sur les questions de modélisation, sur toutes les questions de données.

Bien entendu qu'on est aussi concernés par les risques d'inondations. Il y a également des inondations très importantes en France. On est en train de réfléchir à comment gérer ces risques. Et on a besoin de s'inspirer de comment ça se fait dans d'autres pays. On s'inspire énormément aussi de la réflexion qu'il y a ici parce qu'on n'a pas le même contexte urbain. En Europe, aux Etats-Unis, il y a des villes qui ont été construites sur une très longue période. Ici, les villes se font sur une période très rapide. Donc, on est assez convaincus que sur cette période très rapide, c'est ici qu'il y a des solutions assez innovantes qui vont être sorties parce qu'on n'a pas le temps. Même si les contextes diffèrent, ces solutions innovantes vont pourtant servir aux villes du Nord qui vont se requestionner. Parce que même si on l'appréhende depuis longtemps, on n'a pas non plus toutes les solutions. En revanche, on a développé beaucoup d'éléments d'ingénierie pour épauler les villes sur ce que je vous disais, les modèles de données, les modèles d'analyse. Et l'important, c'est que sur la base de ces données et de ces analyses, que chacun construise sa solution. Ça ne va pas être la même en fonction de chaque ville et de chaque contexte. C'est cette dynamique que nous essayons  d'apporter modestement avec ce que nous avons en matière d'aide à l'analyse et à la planification et en nous inspirant énormément de ce que le contexte ici propose et selon les besoins.