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Fluctuations du cours du naira: En attendant la recette magique

Economie
L’incertitude due aux fluctuations du cours de cette monnaie impacte le secteur informel ainsi que toute l’économie béninoise L’incertitude due aux fluctuations du cours de cette monnaie impacte le secteur informel ainsi que toute l’économie béninoise

Dans les marchés des espaces frontaliers partagés entre le Bénin et le Nigeria, l’humeur des commerçants et vendeurs est tributaire de la situation du naira, la monnaie nigériane. L’incertitude due aux fluctuations du cours de cette monnaie impacte le secteur informel ainsi que toute l’économie béninoise. 

Par   Josué F. MEHOUENOU, le 21 août 2025 à 08h39 Durée 3 min.
#naira #Nigeria #frontiere Benin-Nigeria

Depuis plus de vingt-cinq ans, dame Alimath tient son commerce de sacs de riz, de boissons et autres produits alimentaires à la frontière bénino-nigériane d’Illara. Ces deux décennies et demie n’ont presque rien changé à son quotidien fait de stress et de peur. La raison, la monnaie nigériane, le naira, un des facteurs déterminants de son business. « Elle est tellement aléatoire que tu peux te ruiner en un laps de temps», confie la commerçante de 54 ans. «Tu peux te réveiller riche le matin et t’endormir appauvri le soir », ironise-t-elle. « Du fait des chutes brutales du cours du naira, tu peux par exemple en une journée perdre des millions de francs et ces pertes ne se compensent jamais », soutient-elle. Comme chez bien d’autres acteurs du commerce informel au Bénin, son activité tourne au rythme des fluctuations du naira. Les vendeurs de produits alimentaires, de boissons, de l’essence de contrebande sont les plus touchés par ces pertes qui s’enchainent au gré des fluctuations de cette monnaie. Saïd Bello, vendeur d’essence de contrebande à la frontière bénino-nigérianne de Sèmè-Kraké raconte comment il a fini par abandonner cette activité. « En quatre mois, j’ai été complètement ruiné », raconte-t-il.

« Mon malheur est parti de l’arraisonnement d’une partie de ma commande au Nigeria. 250 bidons jaunes (des bidons de 25 litres reconditionnés pour prendre jusqu’à 33 litres) chargés mais qui ne sont jamais arrivés à destination. Malgré cette situation, je pouvais encore tenir. Pour amoindrir les risques, j’ai passé, la semaine suivante, une très forte commande. J’ai fait un gros prêt pensant compenser les bidons saisis, mais le naira a brutalement chuté. Personne ne s’y attendait. J'avais connu plus de huit millions de perte sur cette seule commande », poursuit-il. Cette fluctuation de la monnaie a faussé tous les calculs du commerçant qui, progressivement, a abandonné le commerce de l’essence frelatée. « J’ai quasiment mis une croix sur toute activité avec le Nigeria. Je me suis ruiné », enchaine-t-il. 

A quand une recette magique ?

Si Saïd n’a pas pu tenir le coup, tel n'est pas le cas de Moktar Adéchina. Cambiste à Owodé depuis de nombreuses années, il livre des astuces pour contourner les aléas du naira et amoindrir les risques. Chaque matin, ce cambiste, qui tient sa caisse sur cet espace frontalier avec des succursales sur les autres frontières à l’intérieur du pays, prend l’information auprès des banques et des médias nigérians. Mieux, il suit  de près l’activité économique du Nigeria. « Parfois, certaines informations te mettent la puce à l’oreille que la monnaie pourrait chuter », explique-t-il. Mais plus généralement, c’est la prise d’information matinale qui lui permet de connaître le taux de change et de définir à son tour le taux applicable et quelle somme convertir auprès de ses partenaires. En général, les gens ne prennent aucune information et attendent de subir les revers de la monnaie, déplore-t-il. Aussi, reconnait-il que la plupart des cambistes ne sont pas instruits et sont plus connectés aux rumeurs de la rue qui ne sont pas toujours fiables. « Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de pertes ou que je n’en connais pas », nuance-t-il. « Quand on a l’information à temps, on subit moins de casse », souligne-t-il. Selon lui, il n’existe aucun mécanisme pour échapper aux pertes qu’induisent les chutes du naira. « Cela a parfois un côté bénéfique… Vous achetez un produit à un certain coût et vous le revendez parfois même au double du prix d’achat. Cela dépend de la situation qui se présente », note-t-il. « Il en va de même pour la monnaie. Vous la prenez à un taux et il peut vous arriver de vous en sortir à bon compte ».

Le choc baissier sur la valeur du naira favorise les importations du Bénin en provenance du Nigeria au détriment de la production nationale et des autres importations. Le sort des commerçants dépend parfois des décisions des autorités nigérianes relatives aux frontières entre les deux pays. La dernière fermeture  des frontières en date est celle effectuée de façon unilatérale par le Nigeria, en août 2019, officiellement pour des raisons sécuritaires. Elle aura duré seize mois. Elle a occasionné une perturbation des flux et une réduction des marges commerciales et des recettes de l’État béninois. De ce fait, le taux de croissance de l’économie s’est établi à 6,9 % en 2019 contre une prévision initiale de 7,6 %, selon le ministère de l’Economie et des Finances.

L’économie nigériane a connu une croissance de 3,6 % en 2021 après une contraction de 1,8 % en 2020. Au nombre des risques budgétaires au niveau macroéconomique du côté du Bénin, figurent ceux liés aux politiques commerciales et de change du Nigeria, partenaire commercial privilégié qui absorbe environ 75 % des exportations totales du pays, d’après la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao).

De même, plus de 25 % des importations du Bénin proviennent du Nigeria. Le commerce informel entre les deux pays représenterait 20 % du Produit intérieur brut (Pib), selon la Banque mondiale.

Forte résilience

Le Bénin se démarque de plus en plus des aléas externes et des chocs exogènes à même de perturber son architecture économique. La dynamique en cours ces dernières années prévoit des actions susceptibles de renforcer la résilience de l’économie et de l’affranchir des « caprices » de la monnaie nigériane. Le Bénin reste d’ailleurs aligné sur le contexte international et ne manque pas de se montrer de plus en plus résilient. Au 30 juin 2023, les recettes budgétaires et les ressources de financement mobilisées s’établissent à 1 856, 571 milliards F Cfa sur une prévision annuelle de 3 033,337 milliards F Cfa au Bénin, d’après le Rapport d’exécution (Rapex) au 30 juin de la loi de finances 2023 (Dgb, septembre 2023). Il en ressort un taux de réalisation de 61,2 %. Les ressources s’inscrivent en hausse de 377,819 milliards F Cfa correspondant à un accroissement de 25,5 % par rapport aux réalisations à la même période en 2022 (1 418,752 milliards F Cfa mobilisés à fin juin 2022), note le rapport.

« Sur la période 2023-2026, la conduite de la politique économique reposera sur le Programme d’action du gouvernement 2021-2026 dont la mise en œuvre accordera une attention particulière aux progrès en ce qui concerne les cibles des Objectifs de développement durable (Odd) pertinentes pour le Bénin», relève le Document de programmation budgétaire et économique pluriannuelle 2024-2026. Pour tenir cet engagement, de nombreuses actions sont envisagées à court, moyen et long termes.

En matière de finances publiques, l’État entend poursuivre la politique d’intensification des investissements, tout en visant le retour progressif du déficit budgétaire à la norme communautaire de l’Uemoa.

Par ailleurs, une attention particulière sera accordée au volet social en respect des engagements du gouvernement sur la période 2021-2026. «L’ensemble de ces actions serait coordonné à travers une stratégie d’endettement à moyen terme 2023-2026 qui maintient la viabilité de la dette tout en favorisant la soutenabilité des finances publiques », indique le document sus évoqué.