La Nation Bénin...
Connaitre
la République populaire de Chine à travers sa langue, sa culture et les arts
mais aussi sur d’autres plans n’est en aucun cas une forme d’allégeance à la
Chine. Au contraire, cela constitue une opportunité. C’est ce qu’affirme Vignon
Maurice Gountin, spécialiste de la langue et de la culture chinoises et docteur
en diplomatie de la Chine contemporaine, dans cet entretien sur son parcours
académique et professionnel en Chine. Il partage aussi quelques moments de
difficultés rencontrées durant les onze ans passés dans ce pays.
La Nation : Vous maîtrisez parfaitement la langue chinoise et avez étudié l’art du Xiangsheng. Vous avez travaillé dans plusieurs structures en Chine et au Bénin. Vous enseignez le mandarin et récemment, vous avez été fait «Ambassadeur de la promotion sino-béninoise du chinois » par les autorités diplomatiques chinoises au Bénin. Pourquoi la Chine ?
Dr Vignon Maurice Gountin : En 1998, poussé par la quête d'apprendre, j'ai entrepris des études en Chine. Ce voyage a non seulement transformé ma perception du monde, mais il a également forgé ma détermination à transmettre ce que j'ai appris à mon retour dans mon pays natal, le Bénin. De la licence en langue chinoise au doctorat en diplomatie de la Chine contemporaine, ces années passées en Chine m'ont permis d'acquérir des compétences et connaissances que je continue de partager avec mes étudiants et mes collègues.
Vous avez eu un parcours académique et professionnel très édifiant, que nous avions rappelé dans une publication récente. Est-ce que tout cela s’est passé sans difficulté ?
Il
y a beaucoup de choses qui m'ont marqué. J’ai connu beaucoup de galère, j’ai
traversé beaucoup de désert aussi. Si je suis allé en Chine, c'est parce que je
me suis accroché à une langue extraordinaire. Le fait même de s'accrocher à
quelque chose d'extraordinaire d'abord, c'est quelque part chercher une porte
de sortie de la misère et des réflexions qu’on mène tout le temps. On se
demande tout le temps ce que l’avenir nous réserve sur le campus
d’Abomey-Calavi, parce que j’étudiais l’anglais avant de m’accrocher à la
langue chinoise. Dans un Bénin où tout le monde parle l'anglais, le français,
toi, tu viens le soir à la maison pour écrire le chinois au tableau, c'est une
galère qui ne dit pas son nom. On te voit comme une personne bizarre, on ne te
comprend pas. On te demande : ''tu fais ça pour aller où ?'' Quand on te dit
ça, tu deviens confus.
A l’époque, j’avais obtenu une bourse pour aller étudier la langue chinoise pendant quatre ans. Si l’opportunité de faire autre chose se présentait, j’allais le faire. Parce que d'abord, j'ai fait jusqu'en deuxième année d’université au département d'Anglais à l’Uac, avant de partir en Chine. Mais arrivé là-bas, j’ai recommencé la première année en langue chinoise. C'est une souffrance. Je suis allé faire la première année pendant que mes camarades d’amphi à l’Uac sont en troisième année en train de faire la licence. Donc cela a joué sur moi psychologiquement. Mais si on m’avait dit que le chinois allait devenir ce qu’il est aujourd’hui, je n’allais pas me faire autant de soucis, je n’aurais pas eu cette pression.
En Chine, quelle était l’ambiance dans votre salle de cours avec un ou quelques Africains au milieu de nombreux Asiatiques ?
Au
début, on était une vingtaine dans ma classe et je n’étais pas le seul
Africain. Il y avait deux Maliens, un Camerounais; après on a des Asiatiques :
un Thaïlandais, un Coréen, un Japonais, un Vietnamien en plus de quelques
Américains et Australiens. Là-bas, tu dois te battre. Quand on te voit, tu
joues pratiquement le rôle d'ambassadeur de ton pays. Quand on dit Bénin, c'est
toi. Quand on dit Afrique, c’est encore toi. Ça veut dire que tu dois faire
tout ce qui est de ton possible pour être correct. Parfois, ça fatigue. Au
Bénin, on vit comme on l’entend, on est libre. Tu peux porter ce que tu veux.
Mais en Chine, si tu portes un habit, qu’il soit du Bénin, de l’Afrique ou pas,
tu dois expliquer. On te dit ah ! c’est votre habit ça ? Pourquoi tu l’as porté
? Ça énerve par moments d'être dans un milieu où tout le temps, on te suit de
près ; tu es comme sur une scène.
Une
autre galère au début, c’est écrire les caractères chinois. Ecrire chaque
chose, réécrire. Vivre pendant l'hiver, c’est la galère. Tu ne peux pas sortir,
parce qu’il fait froid. Être loin des parents, du pays, n’est pas aussi facile.
Je suis allé en Chine en 1998 et je suis revenu au pays pour la première fois
en 2003, soit cinq ans après, sans vacances. Alors que pendant qu'on était
là-bas, quand vient l’hiver ou l’été, les Coréens, les Français, etc. rentrent
chez eux, et les quelques-uns qui sont restés sont vus comme des pauvres, qui
ne peuvent aller nulle part. Mais
progressivement, on a commencé par gagner un peu d'argent pour voyager à
l'intérieur de la Chine.
Entre
Béninois vivant en Chine, on s'appelait parents, parce que nous n’avions aucun
de nos parents là-bas. Quand survient un malheur à l’un d’entre vous, c’est toi
son parent, qui en réponds ; c’est toi qui dois être son garant, lui signer les
papiers. De manière globale, ce sont les difficultés que nous avions connues,
surtout dans les premières années. Mais avec le temps, la Chine est
progressivement devenue un environnement familier pour nous.
C'est dur d'étudier une langue comme la langue chinoise qui n'était pas une langue à la mode. C'est dur d’apprendre les caractères et de les garder. Ce n’est pas aussi facile de faire la promotion de la langue chinoise dans un environnement qui n'est pas nécessairement favorable à cela. Aujourd’hui, ça va beaucoup mieux parce qu'on a beaucoup de facilités. Les jeunes qui étudient la langue chinoise ne chôment pas. Déjà en deuxième année ici au Bénin, ils sont réclamés sur les chantiers et ils gagnent plus que nous.
Entre autres, vous venez de décrire une situation financière pas vraiment reluisante. Est-ce à dire qu’en dehors de la bourse, les étudiants n’ont pas le droit de travailler pour avoir de quoi s’acheter un quelconque bien ?
Dans
le temps, c’est officiellement non. Ce n'était pas possible en tant qu'étudiant
de travailler. Quand tu travailles, la police peut te punir par des amendes.
Mais officieusement, on le faisait parce que les Chinois en avaient besoin. Par
exemple, il y a ce qu’on appelle accompagnateur d'études de langue étrangère.
Les Chinois aiment beaucoup apprendre l'anglais. Pour eux-mêmes et leurs
enfants, ils sollicitent les étrangers capables de leur enseigner l’anglais.
Donc, il y a de ces jobs qu’on faisait pour avoir de petits sous. Il y a aussi
des jobs dans le cinéma. Il peut y avoir des scénarii pour lesquels on a besoin
d’acteurs pour jouer un rôle grand public et autres. Les étrangers y
participent. Il y a des situations où on a besoin d'interprètes. Quand tu
parles la langue chinoise, tu peux servir d'interprète. Ce n'est pas permis,
mais ça se faisait.
J’ai
une anecdote un peu particulière. Il s'est fait qu’une fois, la police est
venue dans mon université. Elle a demandé à l'administration de lui trouver des
étudiants qui peuvent enseigner le français à des agents de police. J’ai été
choisi. Je n'ai jamais oublié ce cas. Je suis allé dans un camp de formation où
se déroule un séminaire pour enseigner le français aux policiers. Ils étaient
venus me chercher avec leur propre véhicule et on est allé loin dans la
banlieue. A la fin, ils m’ont payé sans reçu comme au marché noir (rires…)
alors que ce sont eux qui nous punissent. Après ça, chaque année, lorsque je me
rends à l'immigration pour renouveler la carte de séjour, je vois les policiers
que j’avais encadrés et ça me facilite les contacts dans le temps.
Donc, c'est ce que les étudiants font de manière générale. Il y a d'autres qui font le mannequinat pour s’en sortir. A un moment donné, moi j'ai eu une chance particulière. En 2001, il y a le grand humoriste chinois, Guangquan Ding, un grand maître et professeur de la dramaturgie, de l'art sur scène qui recherchait deux étudiants étrangers capables de s’exprimer en chinois pour jouer un sketch avec lui. Il s’est aussi adressé à l'école qui le connaissait. J’ai été choisi pour faire partie de cette aventure. Ce monsieur que j’ai connu m'a offert une très grande opportunité en Chine. Dès que je l’ai connu, je ne me suis plus jamais plaint de n’avoir pas d'emploi en Chine. La scène était mon emploi et cela m'a fait de la publicité ; je suis à la radio, à la télévision à Pékin, en Provence, sur China Radio, China Radio International. Partout où nous passons pour jouer, à 90 %, nous sommes payés.
Donc, cela est devenu un job pour moi. Mes dernières années en Chine, 2006, 2007, j'étais animateur radio-télé. On faisait des débats en anglais et en chinois. C’est rémunéré et ça nous permettait de gagner de petits sous à la fin du mois. On était entre deux avions. C'était vraiment fantastique cette période de ma vie, à cause de Guangquan Ding que j'ai rencontré. De 2001 à 2009, je ne me suis plus ennuyé en Chine et j'étais très connu dans le pays, dans les médias et autres.
Lors de votre distinction, vous avez parlé de vos projets pour la jeunesse béninoise. Quels sont ces projets ?
Cette
distinction est vraiment un grand honneur pour moi. Avec cette décoration d’«
ambassadeur de la promotion sino-béninoise du chinois », il faudrait que je
fasse quelque chose pour impacter. J'avais personnellement des projets en
instance, j'ai d'autres qui dorment dans mon ordinateur. Donc, c'est l'occasion
de les mettre en œuvre. Je vais vous parler de deux projets.
Le
premier consiste à créer un creuset d’échanges entre Béninois par rapport aux
questions chinoises, parce que ça nous manque. La Chine semble être un pays
mystérieux ou même mythique. On ne sait pas comment l'aborder au Bénin.
Ailleurs, dans les grands pays comme la France, les Etats-Unis, les gens
l’abordent ; dans les journaux de ces pays, on parle de la Chine. Chez nous, on
en parle peu. Donc, j'aimerais créer « Chinese Corner » à l’image des « English
Corner » où les gens se rassemblent pour promouvoir l’anglais. Je pense que ce
serait une occasion où les gens peuvent se voir de manière hebdomadaire pour
discuter en langue chinoise. Le deuxième projet, c'est d’organiser des salons,
des séances de lecture en langue chinoise, des débats au Centre culturel
chinois.
Il
me plait aussi de parcourir le Bénin pour parler de la Chine aux enfants en
langue chinoise. Par exemple, quand on va dans un coin reculé du Bénin, dans
une école, où on parle de la langue chinoise, de la Chine aux enfants en leur
montrant des images, en leur distribuant de petits papiers sur lesquels on a
écrit « Ni hao = Bonjour », « Xiè xiè = Merci » ; sur 100 enfants, il y aura un
qui, à partir de l’impression qu’il aura eue, dira : « un jour, j’irai dans ce
pays, je veux apprendre cette langue ».
Donc, c'est ce que je pense faire pour la jeunesse, pour le moment. Ce n'est pas pour qu'elle soit abrutie, pour qu'elle aille en Chine… Ce n'est pas mon intention. Comme je l'ai dit, c’est pour faire la promotion de la langue chinoise. S’intéresser à la Chine, parler la langue chinoise, ce n'est pas se vendre à la Chine. C'est chercher à comprendre la Chine, chercher à copier la Chine mais pas bêtement. C’est adapter leurs techniques, leur concept de développement à nos réalités d’ici.