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Théâtre avec Silvia Barreiros: Le droit à l’héritage des femmes en question

Culture
Silvia Barreiros signe une mise en scène forte et poétique portée par de jeunes comédiens béninois Silvia Barreiros signe une mise en scène forte et poétique portée par de jeunes comédiens béninois

Une lumière tamisée, un corps inerte, une scène nue, cinq comédiens et un secret de famille. Il n’en fallait pas plus pour captiver l’attention du public de l’Espace culturel Le Centre, vendredi 24 octobre dernier. Avec « Les plis de l’héritage», Silvia Barreiros signe un spectacle vibrant où se mêlent mémoire, douleur et espoir. 

Par   Josué F. MEHOUENOU, le 30 oct. 2025 à 08h42 Durée 3 min.
#Silvia Barreiros #Le Centre

Entre éclats de rire et larmes contenues, « Les plis de l’héritage» explore les blessures invisibles d’une famille africaine. Sur scène, la jeunesse béninoise s’empare du théâtre pour dénoncer l’injustice et réclamer la dignité. À l’Espace culturel Le Centre, Silvia Barreiros signe une mise en scène forte et poétique portée par de jeunes comédiens béninois. Une fresque sur la place des femmes et la transmission. Sur les planches, cinq jeunes comédiens et comédiennes donnaient vie à « Les plis de l’héritage », une création mise en scène par Silvia Barreiros, auteure, comédienne et directrice artistique de la Compagnie Apsara installée en Suisse. Le spectacle, qui clôt deux années de formation offerte par la Coopération suisse à de jeunes talents béninois allie puissance dramatique et réflexion sociale sur un thème universel à savoir la place des femmes dans la succession et les dynamiques familiales.

La pièce s’ouvre par un prologue quasi mythique, inspiré d’un conte où un roi cherche à comprendre ce qui sépare le bien du mal. Ce passage, magnifiquement interprété par Nicolas Houénou de Dravo introduit les sept péchés capitaux, miroir des failles humaines que l’on retrouve ensuite dans la fratrie moderne. Vient ensuite le point de départ de la pièce. Un patriarche meurt, laissant derrière lui un héritage. Ses enfants l’enterrent, non sans discorde et se réunissent pour le partage. Mais rien ne se passe comme prévu. L’arrivée d’une fille inconnue, née d’une union cachée, vient bouleverser les équilibres. Les rancunes éclatent, les blessures s’ouvrent. Et soudain, les mots deviennent des armes. « Pourquoi devrais-tu hériter? Tu n’étais même pas là quand il est mort!», lance un frère furieux, en serrant les poings. Face à lui, sa sœur garde le silence. Puis, d’une voix calme, réplique, « je ne demande pas l’or. Je demande juste ma place dans l’histoire. » Le public retient son souffle. Certains spectateurs laissent échapper des murmures d’approbation, chuchotements et même des hochements de tête. Derrière cette fiction, un fragment de vérité africaine tout de même. Celle des femmes exclues des successions, des filles oubliées parce qu’elles ont quitté la maison, des traditions qui peinent à céder devant la loi.

Fractures familiales et injustices

Entre querelles, révélations et instants d’émotion, la pièce met à nu les fractures familiales, mais surtout les injustices faites aux femmes dans la répartition des biens. « Même si les lois statuent que la femme a le droit d’hériter au même titre que l’homme, dans les villages, la réalité est tout autre », confie Silvia Barreiros. « L’homme n’admet pas cela, parce qu’il part du principe qu’une femme mariée fera passer le patrimoine à un autre homme. C’est un sujet sensible, mais il faut le traiter, et avec un peu d’humour aussi». Ce choix de ton permet au spectacle d’éviter la lourdeur du prêche et d’inviter plutôt à la réflexion. Les dialogues, tour à tour drôles et déchirants, plongent le spectateur dans l’intimité d’une famille africaine où se croisent les blessures du passé et les espoirs d’émancipation. La mise en scène est sobre mais chargée de symboles. Les comédiens déploient un jeu corporel expressif, soutenu par des lumières tamisées et une musique qui, volontairement, s’éloigne des codes africains habituels. Là encore, il s’agit d’un choix assumé par la mise en scène. « Le parti pris était de casser les habitudes. Si la musique était africaine et la thématique africaine, tout irait dans le même sens. J’ai voulu emmener le public ailleurs, parce que les spectacles sont aussi internationaux », justifie la metteuse en scène.

« Cette pièce fait partie de la dernière phase d’une formation théâtrale que la Suisse a offerte à vingt-sept jeunes comédiens et comédiennes béninois », a expliqué la metteuse en scène, visiblement émue par le chemin parcouru. Commencé en janvier 2024, le programme a réuni plusieurs intervenants venus de Suisse, du Canada et d’Italie. « À l’issue de ce long processus, nous avons créé un spectacle pour que vous voyiez, qu’il puisse voyager partout, parce que c’est le but », ajoute-t-elle. Fruit d’ateliers de jeu, d’écriture et d’improvisation, « Héritage» est avant tout un travail de transmission. « C’est un projet de coopération culturelle et humaine », souligne Barreiros, qui a bénéficié du soutien de plusieurs partenaires béninois, notamment l’École internationale de théâtre du Bénin (Eitb), l’Espace culturel Le Centre, l’Institut national des métiers d’art, d’archéologie et de la culture (Inmaac). La pièce s’appuie sur un texte d’une jeune auteure togolaise retravaillé et enrichi pour une création d’environ 55 minutes.

Un théâtre de vérité sur la société béninoise

La pièce met également en lumière un moment fort de réconciliation et d’évolution des mentalités au sein de la famille. Et pour l’épilogue de cette intrigue, un geste symbolique bouleverse l’ordre établi. La canne du père, objet de transmission et d’autorité dans la famille n’est pas remise aux fils, comme le voulait la tradition, mais à la fille. Ce renversement, d’abord source de tensions, devient l’espace d’un nouveau consensus entre les frères, contraints de regarder en face ce que l’héritage signifie réellement. Ils doivent le voir, non pas comme possession, mais plutôt comme responsabilité. A ce stade, la benjamine, longtemps réduite au silence éclate de joie. Elle voit dans cette passation un monde qui s’ouvre. Un monde où les règles ancestrales peuvent être discutées, repensées. Elle y puise la force d’un engagement. Celui de devenir avocate pour défendre les femmes, défendre leur droit à exister dans les lignées non pas en marge, mais au centre. À cet instant, la scène ne raconte plus seulement une histoire familiale. Elle devient une déclaration d’avenir.

Pour Silvia Barreiros, le théâtre n’est pas qu’un divertissement. Il est un levier de transformation. « Les mentalités doivent changer. Le monde change, l’Afrique change, l’Europe aussi. Il faut s’adapter, ouvrir les esprits », conseille-t-elle. C’est pourquoi une tournée nationale est déjà envisagée pour 2026. « Nous irons dans les zones rurales, là où les gens n’ont pas accès à la culture. C’est une priorité pour la Suisse dans le cadre de la solidarité internationale », laisse-t-elle entendre. Objectif, porter le message à la jeunesse du Centre et du Nord-Bénin, où les traditions pèsent encore lourdement sur la place des femmes. Des adaptations linguistiques sont prévues pour que chaque public s'y reconnaisse.

La plus belle réussite de cette pièce sera sans aucun doute, d’offrir aux spectateurs non pas une leçon, mais un miroir. Quand le rideau tombe, les acteurs se tiennent la main. Le public leur fait une standing ovation. Silvia Barreiros, émue, s’avance. « Cet héritage, ce n’est pas seulement celui du père mort dans la pièce. C’est aussi celui que nous transmettons, celui de la parole, de la liberté, de la création ». Et quand les lumières se rallument, cette pièce a déjà laissé sa trace. Celle d’un théâtre engagé, sincère et vivant.