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Sylvestre Amoussou: La foi en une Afrique unie et prospère

Culture
Par   Eklou, le 22 juil. 2017 à 06h00

Longtemps dans l’ombre des grands réalisateurs du continent, Sylvestre Amoussou est depuis peu sous les feux de la rampe. Celui dont deux longs métrages ont été distingués au Festival panafricain de cinéma de Ouagadougou (FESPACO) affirme à travers ses œuvres son engagement à voir l’Afrique jouer les premiers rôles.

 

« Les Africains doivent arrêter de se regarder le nombril et construire leur avenir ». Sylvestre Amoussou n’est pas de ceux qui geignent sur le sort du continent africain. Loin s’en faut. La meilleure réponse que les Africains pourraient apporter au monde, pense-t-il, c’est prendre conscience de leurs responsabilités et œuvrer à changer positivement l’image du continent. « Nous ne pouvons pas dépendre éternellement des autres. L’Afrique doit se départir de ce fatalisme qui inhibe toute confiance et toute capacité à faire face à son destin », croit-il, en panafricaniste convaincu. Réalisateur béninois vivant en France depuis 1981, Sylvestre Amoussou peine à accepter l’image qui est montrée de l’Afrique à travers l’actualité internationale. Un mobile qui l’a d’ailleurs conduit au cinéma même si échapper à l’univers incommodant du chômage n’en est pas loin. « Le fait de vivre en Europe nous impose ce devoir de rétablir une certaine vérité par rapport au regard que l’Occident porte sur le continent africain. Il est intéressant pour nous Africains de la diaspora de nous battre pour changer l’image du continent », confie-t-il.

Et très vite, il troque sa qualification d’économiste contre celle d’un comédien de théâtre, de cinéma et de télévision, suite à des cours dans l’hexagone. Un choix qui s’avère payant, quelques années plus tard. Ses premières apparitions à l’écran sont appréciées et le natif du Bénin ne renonce pas à son engagement  d’opposer aux clichés de l’Occident cette image de cette Afrique qui gagne. Inverser les tendances et repositionner le continent dans le concert des Nations, l’ambition est noble mais la réaliser reste une chimère avec tous ces écueils qui ne sont pas sans l’éprouver. Exprimer ses idées dans un pays où les propositions de rôles pour des acteurs africains sont fort limitées, le pari est loin d’être gagné d’avance. S’ils ne se restreignent pas à de simples figurations, les rôles sont inintéressants voire dévalorisants. A la limite, clownesques.

Après quelques succès à travers des rôles dans des films tels que ‘’Black Mic Mac 2’’, ‘’Elisa’’, ‘’Fantôme avec chauffeur’’ et ‘’Paris selon Moussa’’ et bien d’autres séries, l’homme passe derrière la caméra et affiche toute son envie de réaliser ses propres films et d’imposer ses idées. Des idées qui ne visent qu’à révéler l’Afrique autrement.

 

Sylvestre Amoussou se taille le rôle de réalisateur

 

Taille moyenne, regard pétillant de malice, sourire à fleur de peau, il reste optimiste et ne se détourne point de son objectif. En 2006, contre vents et marées il décide de se jeter à l’eau. ‘’Africa Paradis’’, projet dont il se dévoue corps et âme butte contre des difficultés. Utopique voire irréaliste, trouve-t-on le scénario. Montrer dans un futur imaginaire, en 2033, que l'Afrique est entrée dans une ère de grande prospérité, tandis que l'Europe a sombré dans la misère et le sous-développement. Il faut bien s’appeler Sylvestre Amoussou pour porter une telle histoire à l’écran. « Il ne s’agit pas de faire un film anti-européen ou anti-français mais un film ouvert où je voudrais inviter l'humanité à plus d'humanisme », défend-il face aux réticences et oppositions. Mais rien n’y fit. Personne n’y veut mettre le moindre kopeck. Qu’à cela ne tienne, il assume sa foi et clame son engagement à réaliser ce film dont il sera également l’acteur principal.

« Dans ce film j’ai voulu que l’Afrique soit un continent riche et l’Europe, une terre en pleine déliquescence. Donc l’immigration change de camp. Ce sont les blancs, les Européens qui vont au consulat des États-Unis d’Afrique pour demander un visa pour se rendre en Afrique. On les voit prendre le chemin de l’exil dans la clandestinité. Tout ceci renvoie au calvaire qu’on fait vivre à l’immigré africain quand il vient en France. J’ai voulu faire vivre aux occidentaux un tout petit peu ce supplice », se rappelle-t-il.

L’accueil réservé au film à sa sortie, un peu partout dans le monde détonne et la critique salue une œuvre osée. Les récompenses ne tardent pas à couronner le premier long-métrage du réalisateur. Il remporte à la 20ème édition du Festival panafricain de cinéma de Ouagadougou (FESPACO) le Prix du meilleur son et celui du meilleur décor. Une première pour un film réalisé par un Béninois. S’en suit le deuxième long-métrage de sa carrière artistique qui a véritablement démarré en 1995.  

« Un pas en avant: les dessous de la corruption » s’inscrit dans la même dynamique de positiver autour de l’Afrique et de faire voir ce qu’est le continent noir.

Au-delà de la trame autour de la corruption et de la mauvaise gouvernance, c’est un film qui, à ses dires, « valorise le Bénin et le montre comme on ne l’a jamais fait. Une manière de dire qu’en Afrique ce ne sont pas que les maladies et les guerres ». Tout en étant un film de distraction, il reste une ode à la femme africaine.  « Il montre autrement la valeur de la femme africaine. Les femmes n’ont pas en Afrique la place qu’elles méritent alors qu’elles font tout. En cas de crise elles sont toujours là. J’ai voulu à travers ce film leur redonner leur place dans la société et le respect qui leur est dû », martèle-t-il, avec cette forte conviction qui le caractérise.

Outre cette passion à faire des films engagés, il surprend presque en décidant de tourner « Un pas en avant: les dessous de la corruption » au Bénin en dépit des difficultés à mobiliser un colossal budget de 1.350.000.000 F CFA pour sa réalisation. « Je suis venu au Bénin faire ce film parce que j’y suis né et je pense que c’est un pays magnifique avec des décors naturels assez pittoresques. Il y a assez de compétences en Afrique et de la volonté à apprendre et à travailler », indique-t-il.

Bien que le public ait eu un intérêt à aller suivre ce film dans les salles il ne connaîtra pas le succès de ‘’Africa Paradis’’ qui reste pour la cinématographie béninoise une œuvre culte.

Il aura fallu dix ans de disette pour revoir le réalisateur sous les feux de la rampe. Son troisième long-métrage, ‘’L’orage africain’’ remporte, le 4 mars 2017, l’Etalon d’argent de Yennenga et le prix spécial du jury, à la 25ème édition du FESPACO. De quoi le conforter davantage dans sa posture et l’installer dans le cœur du public comme l’une des valeurs sûres du cinéma africain.