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Démarrée vendredi 21 novembre, l’exposition «Mémoires vivantes » des artistes Eliane Aïsso, Achille Adonon et Eric Mededa, marque les 25 ans de Villa Karo à Grand-Popo. Plus qu’un accrochage, l’ensemble des œuvres offre une manière sensible pour cette institution de se raconter par les visages, les traces, les absences et les gestes.
A Grand-Popo, le vent marin enveloppe la cour de Villa Karo lorsque la performance d’Eric Mededa ouvre la soirée. L’artiste à pas feutrés, entouré d’un public silencieux aligné en haie d’honneur, rejoue dans une mise en scène brutale et poignante. La mise en scène évoque la lutte d’un homme cherchant à se libérer de ses chaînes, au milieu des sacs communément appelés « Ghana-Moscou », ces ballots de toile plastique devenus symboles d’exil, de précarité, de routes fragiles. La scène ravive les histoires de départs du Danxomè et les échos de la traite négrière. C’est dans cette tension sensible que s’ouvre « Mémoires vivantes», événement central du vingt-cinquième anniversaire du centre finno-ouest-africain.
En accédant au Musée Karo, les visiteurs découvrent un accrochage tissé comme un dialogue à trois voix entre les artistes béninois : Eliane Aïsso, Achille Adonon et Eric Mededa, membres du collectif « Sac O Dos ».
A travers silhouettes, ombres étirées et bigarrées, corps en suspens ou fragmentés, peints dans une écriture plastique, dominent la suggestion et le non-dit. Chaque plasticien aborde la mémoire à sa manière.
Une installation comme cœur battant
Au centre du musée, une installation commune retient l’attention : une aire rectangulaire colonisée de petits bateaux en papier multicolores entourant un Assen, autel-vaisselle des cultes vodun. Les bateaux évoquent les jeux d’enfance, les premières navigations imaginaires. L’Assen renvoie aux ancêtres et à ceux qui sont partis pour ne plus revenir. L’ensemble se lit comme un « navire de mémoire et de résistance », dédié aux pêcheurs de Grand-Popo et à tous ceux qui ont traversé mers et frontières pour tenter une nouvelle vie, explique Eliane Aïsso.
La présence mêlée de Finlandais, de résidents et autres amoureux de la culture, souvent vêtus en tenues locales, renforce la dimension d’échange culturel chère à Villa Karo.
Des corps et des ombres
Achille Adonon expose la série « Mes ancêtres » n°1 à 5. Les corps sombres, dressés comme des piliers, imposent leur présence. Dans ces tableaux où domine le noir, la mémoire exige reconnaissance et continuité.
« La mémoire se tient debout», dira Julia Ojanen, directrice exécutive de Villa Karo.
Avec Eliane Aïsso, l’approche devient intime. Dans « Être transmis », « Ipadé », «Départ» ou « Échappée », les ombres semblent organiques, resserrées. Ses œuvres interrogent la manière dont les héritages travaillent les corps de l’intérieur, les silences et les résistances. « Chez elle, la mémoire façonne le corps de l’intérieur », fait remarquer Mme Ojanen.
Chez Eric Mededa, les œuvres «Initiation », « Métamorphoses» ou « Nuages des mondes imparfaits » révèlent des silhouettes qui se tordent, glissent, s’évaporent. Sa peinture, traversée de bleu et de gris, évoque des présences mouvantes et flottantes, des identités en transformation.
Vent debout !
« Mémoires vivantes » rappelle que la mémoire n’est pas seulement un souvenir mais une force qui circule et relie, à l’image de Villa Karo depuis un quart de siècle. En filigrane, les œuvres rendent hommage à Juha Vakkuri, fondateur du centre, dont l’esprit plane sur ce vingt-cinquième anniversaire.
Georgette Singbè, manager culture, a rappelé que « La mémoire persiste dans les gestes, elle revient doucement et se tient debout malgré le temps ».
Le directeur général Richard Y. Tandjoma, visiblement ému, a souligné que plus de 800 artistes ont traversé Villa Karo en vingt-cinq ans. « Si nous tenons depuis tout ce temps, c’est grâce aux artistes, aux partenaires, à la communauté locale. La mémoire n’est pas un passé ; c’est un fil qui nous tient ensemble », affirme-t-il.
Quant à Julia Ojanen, directrice exécutive, elle insiste sur le caractère vivant de la mémoire: « Elle bouge, elle change, elle nous réunit. Ce que nous croyons perdu reste en nous».
Villa Karo