La Nation Bénin...
La forêt classée de Dan, riveraine à la commune de
Djidja, renaît de ses cendres. Elle pète désormais la forme grâce à
l’engagement des communautés riveraines dans les initiatives de reboisement. Si
hier, ces populations avaient fortement contribué à sa dégradation, elles sont
aujourd’hui au cœur de sa restauration sous l’encadrement des forestiers, et
jouissent pleinement des fruits de leurs efforts.
Vêtu d’une tenue identifiable à son corps de métier,
bottes vertes aux pieds, Richard Théodore Adjabo, contrôleur des eaux et
forêts, sillonne la cour de la Cellule technique d’aménagement forestier (Ctaf)
de Dan, un arrondissement de la commune de Djidja, tout heureux. Il montre,
explications à l’appui, les milliers de pépinières de plants soigneusement
disposées par les communautés au profit de la forêt classée de Dan. Il ne
manque aucune occasion pour rappeler le motif de sa fierté : la renaissance de
cette forêt classée avec le concours des populations riveraines. Six ans plus
tôt, la forêt était mal en point. L’espace recouvert de forêt naturelle était
seulement de 5 % sur les 1 530 hectares que couvre cette forêt classée.
« Par le passé, les populations riveraines avaient mis en
terre leurs propres plantations : orangers, bananiers, papayers, cocotiers.
Elles abattaient allègrement les arbres naturels pour leurs divers besoins … »,
se souvient Richard Adjabo.
Des actes préjudiciables qu’elles-mêmes ne nient pas. «
Nous disposions de la végétation selon notre bon vouloir. Nous faisions
inconsciemment du tort à nous-mêmes et à la postérité en allant couper le bois
sans arrière-pensée », confesse Marie Guidigbohoun, présidente d’un groupement
féminin.
Au-delà de ces agissements, les effets néfastes de la
déforestation ont aussi provoqué un changement radical au sein des communautés
de Dan. «Nous nous sommes très mal comportés vis-à-vis de la forêt par le
passé. Nous faisions les feux de brousse dès que nous sentions le besoin. La
pluie était rare, tout était aride ici », raconte-t-elle, tout en laissant
transparaître sa joie de contribuer au retour de la végétation dans la forêt :
« Les choses sont revenues à leur place normale. Toute la forêt est couverte
d’acacias aujourd’hui et nous respirons de l’air pur. La situation est sous
contrôle ».
La cadence et les pas de la danse ayant changé, les
prédateurs d’hier sont devenus les champions du reboisement d’aujourd’hui. «
Nous ne permettrons pas que quelqu’un sabote nos efforts. Nous veillons sur la
forêt comme la prunelle de nos yeux. La
forêt, c’est une source de richesse ; c’est la vie», soutient Marie
Guidigbohoun.
Au départ, les efforts de restauration revenaient
seulement à l’Etat. En 2019, la Banque mondiale est venue en appui à travers le
projet Forêts classées Bénin (PFC-B), financé à hauteur de 90 millions de
dollars. Ce projet soutient la mobilisation et l’implication des communautés
dans les actions de reboisement. Son objectif est d’améliorer la gestion
intégrée des forêts classées et de développer les chaînes de valeur des
produits forestiers non ligneux au profit des communautés dépendantes des
forêts. Le Pfc-B mise sur l’approche participative tout en donnant les moyens
aux communautés d’être les vraies actrices de la reforestation.
« Avec l’aide du projet Forêts classées Bénin, les
populations riveraines installent elles-mêmes les pépinières, procèdent à la
mise en terre des plants, font le piquetage, l’élagage des arbres et assurent
l’entretien des lieux », assure Théodore Adjabo.
Engagement et rigueur
Les communautés de Dan y mettent du cœur en assurant la
veille permanente. « Lorsque quelqu’un commet des impairs, nous signalons
systématiquement son cas à la Cellule technique d’aménagement forestier (Ctaf)
et au commissariat. Depuis que l’un des nôtres a été sommé de payer une amende
au Trésor public, tout le monde s’est davantage rangé », explique Apollinaire
Attizovè, président du Conseil de Coordination des Unités d’Aménagement
forestier de Dan.
Cette mesure aussi forte que dissuasive est salvatrice,
car elles intègrent la surveillance et la protection de la biodiversité et le
suivi écologique. « En matière d’aménagement participatif, nous ne saurions
travailler sans les populations. Après quatre années, nous avons noté avec
satisfaction l’engagement communautaire. La forêt a été restaurée à plus de 95
% », apprécie Barnabé Sossa, conservateur des forêts classées, des eaux et chef
d’inspection forestière du Zou.
A Dan, la plantation la plus ancienne du Pfc-B remonte à
2020. Le projet a choisi l’acacia auriculiformis comme espèces à mettre en
terre en raison de son fort pouvoir calorifique. Cette semence est
soigneusement disposée tout le long des 1 530 hectares que recouvre la forêt.
Les quelques rares anciennes plantations en mauvais état de développement sont
remplacées par des peuplements plus homogènes, mieux aménagés et mieux suivis
avec des essences adaptées au milieu. On y retrouve aussi quelques essences
autochtones telles que le néré, le fromager, l’anogensus leicarpus, afin
d’éviter la monoculture.
Le bonheur des groupements
Les groupements féminins captent bien la manne issue des
efforts de reboisement. Les bénéfices qu’elles en tirent sont d’ordre
pécuniaire et environnemental. « Les femmes qui profitaient de la forêt ont été
redirigées vers les activités génératrices de revenus en lien avec la forêt »,
apprécie Richard Adjabo.
Le groupement Nouwagnon, constitué d’une vingtaine de
femmes, travaille main dans la main avec les forestiers. Marie Guidigbohoun en
est la présidente. « Nous sommes fières d’être les actrices du changement. Ce
que nous avons détruit hier nous donne à manger aujourd’hui, à travers les
travaux de reboisement », se félicite la responsable du groupement.
Francisca Attizovè n’en dira pas moins : « Il est vrai
que nous avons beaucoup bavé au début de cette initiative. Mais il nous est
impossible de retomber dans les mêmes erreurs du passé. Nous ne pouvons pas
détruire ce qui nous donne à manger, encore moins le permettre à d’autres
personnes. Autrement, nous ferons du tort à nous-mêmes ».
Au-delà de la prise de conscience des populations, la
forêt doit aussi sa survie à une organisation des communautés riveraines sur le
terrain. Divisée en deux Unités d’aménagement (UA) incluant les villages
environnants, Azoua: 663,93 ha (57,15 %) et Finli : 497,74 ha (42,85 %), elle
est organisée en trois séries : série de production, série agricole et série de
protection, sans oublier la Cellule d’aménagement technique qui met en œuvre
les activités planifiées.
Chaque UA comporte six groupements. On y dénombre au
total une douzaine de groupements (dont un spécifiquement féminin) qui
s’occupent de la production des plants, de leur mise en terre au sein de la
forêt et de toutes autres activités allant dans le sens du retour de la
végétation.
Les Unités d’aménagement savent qu’il faut anticiper sur
les défis pour ne rien omettre. «Chaque année, les Ua font des prévisions du
nombre d’hectares à reboiser et font la répartition en tenant compte du nombre
de groupements », assure Appolinaire Attizovè.
René Akabassi, chef du village de Dridji et membre du
groupement ‘’Midjangodo’’, est une personne avisée en matière de restauration
de la forêt. Il parle de l’organisation mise en place pour sécuriser les lieux.
« En décembre, les garde-feux prennent possession des lieux. Ils sont une
cinquantaine à ceinturer toute la forêt du matin au soir et durant toute la
nuit. Ils font la ronde de façon rotative afin de préserver les acquis du
projet. Leur présence est dissuasive », explique le chef de village.
Veille permanente
Avec le dispositif de veille, il n’y a aucune marge de
manœuvre aux individus malintentionnés. Le projet a mis un accent particulier
sur la sécurité. « Les garde-feux ne sont pas les seuls à assurer la
surveillance des lieux. Ils ont des superviseurs au-dessus d’eux qui les
contrôlent régulièrement. Personne ne peut commettre un forfait ici sans être
appréhendé. D’ailleurs, le projet nous paye en connaissance de cause »,
souligne René Akabassi.
Chaque activité en lien avec la restauration de la forêt
est rémunérée. « Nous sommes payés sur
la base de notre travail : de la mise en place des pépinières, et à l’entretien
des plants en passant par leur mise en terre », témoigne Francisca Attizovè.
Dans le cadre de la restauration de la forêt, les Ong de
prestations de services agro-forestiers ‘’ALDIPE ONG,’’ ont recruté des
conseillers agricoles qui forment des paysans à la mise en place des systèmes
d’intensification de l’agriculture.
Il faut dire que le chemin en matière de reboisement
total de la forêt a été long et périlleux. C’est en 1993 que l’approche
participative de la restauration de la forêt a pris corps. Après plusieurs
balbutiements, les fruits ont fini par tenir la promesse des fleurs. « On a
commencé par impliquer les populations riveraines dans la gestion des forêts à
partir de cette année-là. Nous avions remarqué que nos efforts en faveur de la
restauration des forêts, à l’époque, étaient vains du fait des réticences ou
résistance des populations riveraines. Nos nombreuses sensibilisations à leur
endroit ont fini par porter des fruits au point où elles se sont approprié le
rôle de surveillant de la forêt. Elles ont compris l’intérêt de la restauration
», assure Richard Adjabo.
Les femmes essayent de fructifier les revenus issus des
activités de reboisement afin d’avoir plusieurs cordes à leur arc. « Nous
investissons nos économies dans d’autres activités génératrices de revenus
telles que la transformation du manioc, l’élevage des volailles et des porcs »,
soutient Marie Guidigbohoun.
Outre les groupements féminins, les groupements mixtes
aussi y trouvent leur compte. « La forêt retrouve ses marques. Elle vit et nous
procure d’énormes avantages. Les ressources que nous gagnons nous aident à
faire efficacement face aux besoins de nos familles et à installer nos propres
projets », se réjouit Apollinaire Attizovè, président du Conseil de
coordination des Unités d’aménagement forestier de Dan.
Sur le chantier de la restauration de la forêt classée de
Dan, ce cinquantenaire est une figure bien connue. Bien trempés dans les
réalités spirituelles endogènes, lui et ses compairs invoquent par moments les
dieux au profit du bien-être des forêts dans le pays. « Nous avons tous remis à
cœur joie les terres que nous occupions illégalement au sein de la forêt en vue
de sa restauration. Il est crucial de la préserver. Sans quoi, la pluie va être
rare et nous allons tous en souffrir. Quand ça ne va pas, nous faisons le
nécessaire dans ce sens », assure-t-il.
C’est le décret N°2024-902 du 17 avril 2024 qui porte approbation des plans d’aménagement participatif des forêts classées de Dan, Kétou, Logozohè, Agoua, Ouémé-Boukou, Tchaourou-Toui-Kilibo, Ouémé supérieur-N’dali, Ouénou Bénou, Trois rivières et Alibori supérieur.
L’aménagement participatif sur 10 ans
Le plan d’aménagement participatif de la forêt classée
(Papf) de Dan est élaboré pour une durée de 10 ans, couvrant la période 2023 à
2032. Il vise à « assurer la restauration de la forêt classée de Dan pour
servir d’espaces de conservation et de gestion durable de la biodiversité et
des services écosystémiques en vue de l’amélioration des conditions de vie des
communautés riveraines».
La finalité dudit plan est d’assurer une meilleure
conservation de la biodiversité, la restauration des zones dégradées dans les
séries de protection et de production, d’améliorer les conditions d’existence
des communautés riveraines et de la gouvernance et de favoriser
l’approvisionnement durable en bois et produits forestiers non ligneux.
Créée par l’arrêté n°3074 S.E du 29 octobre 1943, la
forêt classée de Dan est entièrement reboisée aujourd’hui, grâce au projet
Forêts classées Bénin (Pfcb). Elle dispose entre autres des enclaves de
Tèzoukpa et d’Ahoyèmè.
Il suffira désormais d’une gestion rationnelle pour
éviter que les populations riveraines tombent dans les mêmes travers du passé.
A l’heure du bilan, le plan d’aménagement de la forêt classée de Dan permettra
de mieux évaluer le chemin parcouru. Pour l’heure, l’unanimité est faite autour
des bienfaits que procure la forêt et de l’intérêt du reboisement au sein des
communautés riveraines de Dan.
Leur souhait, c’est de tout faire pour pérenniser les acquis, avec le concours des communautés, même si le projet Forêts classées-Bénin arrivait à terme.
Dan et sa consommation en bois-énergie
Selon les projections démographiques, la population de Dan devrait atteindre 19 193 habitants en 2022, contre 13 701 en 2013. La consommation estimée en bois-énergie par les ménages riverains en 2022 est de 36 247,15 m3/an de bois, contre une capacité productive annuelle de 832,30m3/an de bois. Comme d'autres forêts classées du Bénin, celle de Dan est soumise à un régime restrictif de l'exercice des droits d'usage. Cela signifie que l'accès et l'exploitation des ressources y sont réglementés pour assurer leur conservation.