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Femme et cuisine au foyer: Entre contraintes professionnelles et désaffection

Société
Par   zounars, le 05 juil. 2017 à 05h14

Les femmes désaffectionnent-elles de plus en plus la cuisine ? Entre contraintes professionnelles et manque de savoir-faire, beaucoup d’entre elles jettent désormais leur dévolu sur les commandes de repas au dehors.

L’art culinaire semble aujourd’hui ne plus intéresser certaines femmes. Celles-ci abandonnent ce plaisir de se faire à manger au profit du ‘’prêt-à-consommer’’ ou du ‘’tout fourni’’ des restaurants, maquis et autres gargotes. Le phénomène est récurrent dans les villes, notamment chez les femmes qui ont des occupations professionnelles. Si certaines brandissent le manque de temps comme raison, d’autres brillent par leur manque de savoir-faire en la matière, parce que n’ayant pas été au parfum des ‘’secrets’’ de grand-mère.
Pourtant, la cuisine fait la fierté des maîtresses de maison dont c'est le rôle dans le foyer. Jadis, le fait de manipuler les ustensiles, de mélanger les ingrédients en vue de préparer un repas, constituait plus qu’un plaisir, un amusement, une passion.
Mais aujourd’hui, femmes et jeunes filles préfèrent s’abonner chez la ‘’vendeuse de nourritures’’ proche de la maison et auprès des bistrots.
Dans la pratique, l’argent est remis au petit garçon ou à la petite fille pour aller prendre un repas à ces endroits. Ce même geste se répète matin, midi et soir. Quelques fois, la nuit, la maîtresse de maison cuisine pour la famille quand elle ne revient pas du travail très fatiguée. Mais le cas qui préoccupe est celui des jeunes filles qui n’ont pas de grandes occupations mais qui sont accros des cafétérias, buvettes et hôtels. « Je suis seule dans ma chambre, lorsque je cuisine, je n’arrive pas à manger. Souvent, lorsqu’on est accompagné, on mange mieux. C’est à cause de cela que je préfère prendre du spaghettis souvent à la cafétéria », laisse entendre Josiane A.
Certaines fonctionnaires sont ‘’championnes’’ dans la pratique du ‘’prêt-à-manger’’. Celles-ci vont au bureau très tôt et ne reviennent qu’après 20 h ou 21 heures. Ainsi, pour ne pas faillir dans leur rôle de femme au foyer, certaines sollicitent les services des bonnes dames, spécialisées en la matière, qui les aident à faire la cuisine. Laetitia Honvo, agent dans un ministère, commande les condiments qu’on lui écrase par la meule traditionnelle. Cela lui coûte un peu plus cher, dit-elle, car la tomate écrasée par le moulin à maïs à 100 francs lui revient à 300F avec la meule manuelle. Cependant, elle passe la commande en matinée et de retour le soir, elle passe la chercher en rentrant du service. Une commande est constituée généralement de tomate, de piment, d’oignon et des épices, tout ceci de façon séparée. Ce qu’elle conserve dans son réfrigérateur pour en faire usage tout au long de la semaine.

Service traiteur spécial

Au marché Saint-Michel de Cotonou, certaines bonnes dames sont spécialistes de l’art de faire la cuisine pour les autres. Notre équipe de reportage n’est pas la bienvenue sur les lieux. Dame Victoire Dicotan qui s’adonne à ce métier de « service traiteur spécial », confie : « Pour une sauce de poulet pour trois personnes, il vous faut débourser 5000 francs Cfa ; la sauce de poisson est à 3000 francs. Si vous voulez une sauce composée de poisson, viande, peau de bœuf et fromage, accompagnée de la sauce de crincrin ou de gombo ou d’autres légumes, il faut 8000 F». Dans ce marché, on peut aussi commander de la pâte blanche ou noire, à 500 francs, si le client apporte la farine. Pour avoir la sauce et la pâte, dame Dicotan indique qu’il faut passer la commande en déposant les glacières et fixer une heure pour la livraison. Les femmes fonctionnaires passent souvent les matins, fait-elle savoir, et reviennent les soirs, au retour de service, pour récupérer leurs commandes.
Ces femmes ne savent pas toujours les ingrédients des repas et peuvent s’exposer ainsi aux ennuis sanitaires dus aux produits douteux qui entrent dans la préparation des mets à eux servis par les « femmes cuisinières » de Saint-Michel qui en font leur gagne-pain. Ayélé, l’une d’entre elles, affirme qu’elle ne peut pas commander la nourriture de son foyer à quelqu’un d’autre. « Car, rien ne me prouve que les aliments préparés sont faits avec soin ». Mais elle s’empresse d’ajouter qu’elle autre y met tous les soins nécessaires pour ses clients.

Préférence pour le "prêt-à-consommer"

Entre la façon de cuisiner de nos jours et celle d’avant, il y une nette différence. De nos jours, les filles n’aiment plus écraser les condiments puisqu’il y a le concentré de tous les condiments sur le marché. Mais ces produits bon marché disponibles peuvent être de qualité douteuse.Hérodiade Kpèhounton dit avoir mis une croix sur ces condiments en poudre qui se baladent sur les étalages. « Qui sait s’ils sont bien nettoyés ou qu’on les a triés avant de les moudre ? », se demande-t-elle. « Lorsqu’on écrase les condiments frais soi-même, et qu’on prépare le repas avec, c’est plus appétissant par rapport aux condiments séchés réduits en poudre », fait remarquer Hérodiade.
Selon Rosine Adjovi, la préférence pour le « prêt-à-consommer » est aussi une question d’éducation. « Il y a la paresse de se mettre encore à faire le feu pour la cuisine après avoir quitté le boulot. Alors, on sort pour chercher quelque chose à manger sans tenir compte de l’hygiène de la nourriture du dehors », explique-t-elle. A la question de savoir si c’est parce que la cuisine est difficile que les jeunes filles ne s’y intéressent pas, dame Rosine répond que c’est plutôt facile et très amusant de cuisiner si l’on a la volonté. Pour elle, si tous les ingrédients sont à portée de main, en quelques minutes, le mets doit être prêt et l’on maîtrise ainsi ce qu’on mange.
Le nutritionniste Dr Sosthène Vissoh déconseille les « mets du dehors » ou commandés à de tierces personnes au marché. Car, ils peuvent être nuisibles, fait observer le spécialiste. « Les repas que nous achetons au bord de la voie, nous ignorons leur méthode de cuisson et pire la commande se fait au marché, un lieu public où l’hygiène laisse à désirer pour la cuisine », explique-t-il. Pour lui, quiconque prend ces nourritures expose aussi bien sa vie que celle de sa famille aux maladies telles que la diarrhée, les douleurs abdominales, la perte de poids, la fatigue, la fièvre, le ballonnement, la constipation, les douleurs de l’estomac, les maladies de Crohn et de la rectocolite qui sont des inflammations de l’intestin.

Une pratique qui plombe la société

« La paresse qui caractérise le quotidien des femmes de nos jours n’a pas de nom », fait remarquer Gloria Béhanzin, sociologue. Pour elle, ce phénomène conduit notre pays tout droit à la ruine. Sur le plan éducatif en général, et dans le domaine culinaire en particulier, la société béninoise perd ses valeurs, estime-t-elle. Aujourd’hui, la société béninoise a totalement copié l’Occident et tout le monde veut parler, manger, marcher, s’habiller comme le Blanc, poursuit-elle.
Pour inverser la tendance, la sexagénaire Rosine Adjovi soutient que cela revient aux femmes en priorité de reprendre l’éducation à la base de leurs enfants. Elle explique : « Lorsque l’enfant a six ans, elle ne doit plus rester loin de la cuisine. La maman doit commencer à lui apprendre comment faire le feu. En premier lieu, pour préparer, on doit lui donner la tomate, le piment, l’oignon et les épices en lui indiquant l’ordre selon lequel elle devrait écraser ces condiments ». La cuisine doit s’apprendre dès le bas-âge, ce n’est pas d’un coup que l’on commence par cuisiner, souligne Rosine Adjovi.