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Anselme Dabiré, directeur pays d’Îles de Paix au Bénin: « Accompagner les familles rurales vers l’autonomie et la qualité »

Société
Anselme Dabiré, acteur engagé du développement local, plaide pour une approche intégrée liant alimentation, environnement et autonomisation des communautés rurales Anselme Dabiré, acteur engagé du développement local, plaide pour une approche intégrée liant alimentation, environnement et autonomisation des communautés rurales

Anselme Dabiré est le directeur pays pour l’Ong internationale Îles de Paix au Bénin, qui œuvre depuis plusieurs années dans le domaine de l’agriculture durable, de l’alimentation et de la promotion de la consommation locale. L’impératif, selon lui, c’est de garantir aux populations des produits locaux sains et de qualité.

 

Par   Claude Urbain PLAGBETO, le 10 nov. 2025 à 05h46 Durée 3 min.
#Promotion de la paix au Bénin

La Nation : Quelle lecture faites-vous de la situation actuelle de la sécurité alimentaire, notamment dans le Nord-Bénin ?

Anselme Dabiré : La situation reste préoccupante, même si elle est suivie de près par le gouvernement et plusieurs partenaires techniques. Mais il faut reconnaître que nos interventions ne couvrent pas l’ensemble du Nord, et même à l’intérieur de nos zones d’action, nous n’atteignons pas encore tous les villages.

Les évaluations de la sécurité alimentaire reposent sur des méthodologies complexes, avec des indicateurs parfois discutables. Les analyses sont menées par le ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche sur la base de données périodiques. Mais selon la méthode utilisée, les résultats peuvent varier, rendant les comparaisons d’une année à l’autre délicates.

De plus, les indicateurs imposés par les bailleurs internationaux ne reflètent pas toujours la réalité des communautés rurales. Par exemple, mesurer la pauvreté à partir du seuil d’un dollar par jour n’a pas de sens pour un paysan de Matéri ou de Kouandé, qui ne raisonne pas en termes monétaires. Nous devons donc repenser et développer nos propres outils d’analyse, adaptés à nos réalités économiques, sociales et culturelles.

Sur le terrain, constatez-vous une évolution positive ?

Oui, de façon notable. Aujourd’hui, nous accompagnons près de 8 500 familles rurales dans les communes de Cobly, Boukombé, Natitingou...Nous travaillons sur l’ensemble de la chaîne de valeur alimentaire, depuis la production agroécologique jusqu’à la transformation et la commercialisation. L’idée, c’est de favoriser la mise en relation entre producteurs, transformateurs et consommateurs, afin de garantir des produits de qualité, accessibles et durables.

Notre approche repose sur ce que nous appelons le Plan intégré paysan (Pip), une méthodologie participative qui place la famille au cœur du développement. C’est une stratégie qui vise à redonner espoir et autonomie aux familles rurales, en partant de leurs propres ressources, forces et faiblesses. Elle permet à chaque ménage d’établir son propre plan d’action à partir d’un diagnostic participatif : terre, savoir-faire, bétail, main-d’œuvre, etc. L’idée est de transformer la famille en véritable unité économique, une micro-entreprise à la base, où chaque membre: homme, femme, jeune, définit et suit des objectifs communs tels que la production, l’habitat, l’éducation, la santé, l’environnement… Cela crée une dynamique d’autonomie et une vision à moyen terme. Cette planification familiale participative produit déjà des résultats visibles.

Chaque année, nous organisons des concours de plans intégrés paysans, d’abord au niveau local, puis communal et départemental. En octobre, une foire départementale à Natitingou réunit les meilleurs projets pour un partage d’expériences. Ce n’est pas forcément une compétition, mais un moment d’émulation et de diffusion de bonnes pratiques.

Vous évoquez la transformation agroalimentaire. Que réalisez-vous concrètement dans ce domaine ?

C’est l’un des axes majeurs de notre action. Nous accompagnons aujourd’hui plus de 105 groupements de femmes, sans compter ceux de Matéri avec lesquels nous avions travaillé et gardons à présent des liens. Ces groupements ont renforcé leur résilience organisationnelle et développé des relations avec les institutions de microfinance. Nous les aidons à produire et transformer selon les principes de l’agroécologie, afin d’obtenir des produits sains et de qualité.

Nous appuyons également une cinquantaine de jeunes transformateurs à Natitingou et environs, en leur apportant un appui technique, un suivi en gestion et un accompagnement vers la certification et la mise en marché. L’idée, c’est de créer une économie locale circulaire, où les produits du terroir sont valorisés et consommés sur place.

De ces initiatives est né le Réseau des acteurs de la consommation locale et saine (Racolos), officiellement enregistré sous le nom « Tidisaati wébou » qui signifie « bien se nourrir » en langue locale (ditammari). Ce réseau regroupe des entrepreneurs locaux, des groupements paysans et des transformateurs engagés dans la promotion des produits locaux agroécologiques de qualité. Il gère notamment un showroom à Natitingou, vitrine des produits transformés et valorisant les produits agroécologiques issus du territoire : maïs, soja, riz, etc. C’est le fruit d’un long processus visant à relier production, transformation et commercialisation locales.

Par ailleurs, un organe indépendant de contrôle de la qualité a été mis en place, composé des structures déconcentrées de plusieurs ministères. Cet organe veille à la conformité des produits et travaille à leur reconnaissance officielle.

Ces dynamiques locales se consolident-elles vraiment ?

Oui, nous avons contribué à la création du Racolos parce que cela s’imposait comme une nécessité, mais aujourd’hui le réseau fonctionne de manière autonome, avec ses propres instances et orientations. C’est une expérience unique dans l’Atacora, née d’une collaboration entre acteurs publics, privés et associatifs.

Notre rôle reste celui d’un accompagnateur : nous aidons à structurer, à outiller et à consolider les initiatives locales, sans les diriger. Aucun acteur ne peut prétendre résoudre tous les défis, mais l’essentiel est que les dynamiques locales se consolident. L’important, c’est que les communautés prennent le relais et deviennent maîtresses de leur développement.

Cela fait maintenant vingt-cinq ans qu’Îles de Paix est présente dans l’Atacora, et nous restons convaincus que le développement durable repose sur l’autonomie des acteurs locaux et la valorisation des ressources endogènes.