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Accès aux terres agricoles: Le chemin de croix des agricultrices de Tori

Société
Par   Maryse ASSOGBADJO, le 20 juil. 2017 à 08h08

A Tori commune située, à une quarantaine de kilomètres de Cotonou, l’accès des femmes aux terres agricoles reste un parcours du combattant. La situation réduit leur potentialité agricole et freine le développement local.

Rosaline Hindémè ne passe pas pour une inconnue à Tori. La cinquantaine révolue, elle se compte parmi les rares exploitantes agricoles de la localité. A son actif, deux hectares de domaine propre, et 5000 m2 de terres en location. Si l’agricultrice se conforte de son statut actuel, elle est consciente qu’elle irait loin dans la production agricole si sa famille lui avait légué la terre en héritage. « Nous sommes dans un milieu où les terres ne sont pas attribuées aux femmes », déplore-t-elle. Avant de se lancer dans les travaux champêtres, Rosaline Hindémè était une négociante des produits agricoles un peu particulière. Elle rachetait les champs d’ananas peu productifs qu’elle essayait de valoriser par la suite avec l’aide de quelques agents qu’elle a engagés. En plus de ses champs de maïs, de manioc et d’ananas, elle fait également la transformation du manioc et l’élevage de la petite volaille. Les revenus issus de ses activités avoisinent 1,5 million de F Cfa par récolte. Son rêve, c'est d'accroître son chiffre d’affaires à 20 millions de F Cfa d’ici 2021 pour un minimum de 6 hectares cultivables.
A Tori, cependant, la dynamique entrepreneuriale de Rosaline peine à faire école. Plusieurs agricultrices de la localité s’efforcent à lui emboîter le pas, mais leur ambition se heurte à plusieurs contraintes, en occurrence l’accès au foncier, qui les maintiennent dans la vulnérabilité.

Dame Anagonou à Hayakpa

Hayakpa est un village d’Azohouè-Aliho, l’un des sept arrondissements de Tori. C’est un long périple qui conduit au champ de maïs de dame Anagonou Ahomadi. Avant de s’y rendre, il faut s’armer de courage, de patience et surtout faire preuve d’endurance pour achever encore une autre dizaine de kilomètres. Arpenter le long sentier menant à son champ relève d’un parcours du combattant. Sur un périmètre de 500 m² qu’elle a loué, elle s’emploie en cette matinée pluvieuse de juillet à débarrasser son champ de maïs des mauvaises herbes. Son souhait, c’est de disposer de cette surface agricole pour ses cultures de maïs et de manioc en cours et pour les prochaines récoltes. « Si j’avais hérité des terres, j’aurai pu vraiment agrandir mon exploitation », nous confie-t-elle aussi, l’air résigné.
A Tori, l’accès des femmes à la terre est difficile. Elles y accèdent notamment par voie de location et en fonction de la fertilité du sol. Lorsque la terre est fertile, elles louent l’hectare à 120 000 F Cfa sur une période de deux ans. Les terres à retouche (qui ont besoin d’aménagements préalables), leur reviennent à 100 000 F Cfa, soit 2000 F à 5000 F pour les domaines de 20 m². Mais, les contrats de location de terre font l’objet de concurrence et constituent pour elles une source permanente d’insécurité.

Discriminations

« Il arrive que d’autres locataires proposent un meilleur prix que ce que nous avons déjà loué chez le propriétaire. Dans ces conditions, les nouveaux locataires, sur instruction des propriétaires terriens, viennent détruire nos récoltes en vue de disposer des mêmes superficies », relate Anagonou Ahomadi. C’est depuis près d’une trentaine d’années qu’elle vit cette situation et ne trouve pas encore de solution. « Je me bats pour acquérir mon propre domaine pour la culture, mais les contraintes financières m’en empêchent », se plaint-elle.
Les mêmes difficultés amènent aujourd’hui Sidonie Abou-Coco, veuve et mère de sept enfants, à se décourager pour la production agricole. « Nous déployons plus d’énergie et toutes nos ressources dans les travaux champêtres, mais au finish, nous n’y gagnons plus grand-chose », se désole-t-elle.
La récolte est divisée et partagée en trois parties entre les cultivatrices et leurs propriétaires lorsqu’elles n’arrivent pas à payer les frais de location des périmètres loués. « Sachant que nous sommes analphabètes, ils nous malmènent selon leur bon vouloir. Il arrive que les propriétaires nous dépossèdent carrément de nos récoltes, faute de moyens financiers pour faire face aux frais de location », ajoute Christine Ninguin, agricultrice à Azowè-Aliho.
Le maire de la localité, Robert Vitonou Tolègbon, est conscient de la situation. « Les agricultrices qui louent les terres ne sont pas en sécurité. Les hommes ne le sont pas non plus », soupire-t-il. Il explique la mésaventure des femmes : « Dans certains arrondissements, les présumés propriétaires ont vendu tout leur domaine si bien qu’ils se retrouvent aujourd’hui à faire des contrats de bail auprès des gens à qui ils les ont précédemment cédés en vue de faire de l’agriculture. Dans ces conditions, certaines femmes, notamment les cultivatrices de riz, sont obligées d’aller à des contrats de bail ou de faire de la location ; ce qui réduit leur accès à la terre ».
Bernard Hodawan, chef d’arrondissement de Tori-Bossito, renchérit : « Les femmes de Tori ont accès à la terre dans une moindre proportion ». Et au chef d’arrondissement de Tori Avamè, Augustin Vianou, de décrire le mode discriminatoire de l’accès des femmes à la terre : « Avant d’accéder à la terre, les femmes passent par une couverture de leurs maris ou d’autres personnes. Bien qu’elles soient des actrices des terres cultivables et jouent un grand rôle dans la culture, la production et le maraîchage, elles sont rarement des propriétaires terriens. Ce sont des terres appartenant à leurs maris, à la famille de leurs maris ou celles des collectivités qu’elles ont le privilège d’occuper pendant un certain temps avant que les plus forts de la collectivité ne les chassent. Ici, les femmes ne jouissent pas des droits fonciers », explique-t-il.
« Les femmes ont rarement des droits fonciers. Les transactions foncières se font par le biais des hommes », explique le roi de Tori, Sa Majesté Gbènan Kinidégbé. Sur 100 personnes jouissant de droit de propriété foncière, à peine 10 sont des femmes, ajoute Gilbert Azonnassou, chef service des Affaires domaniales et environnementales de la mairie de Tori.

Contraintes financières et techniques

Les mutations sur le genre n’ont pas encore atteint Tori qui évolue dans la dynamique d’une société patriarcale. Pour le maire Robert Vitonou Tolègbon, les femmes qui héritent de la terre constituent des exceptions. « L’héritage foncier se fait de manière disproportionnée au détriment de la femme », explique-t-il.
Le juge Gilbert Togbonon, auteur du « Guide sur le foncier » renchérit : « En milieu rural, une catégorie de femmes ne sera pas propriétaire terrien à cause de l’héritage transmis ».
Sur une population de 57 445 habitants recensés à Tori (lors du dernier recensement de la population), les femmes représentent environ 75% de la main-d’œuvre agricole. En plus des champs de riz, de manioc, de maïs, on les retrouve aussi dans la culture des légumes tels que la tomate, le piment. Elles sont aussi des transformatrices du manioc et de ses dérivés. Si ce n’est pas l’insuffisance des surfaces allouées, c’est le manque de matériels adaptés à l’agriculture, à la qualité des sols ou encore le manque de moyens financiers pour les exploiter qui freine leur élan.
A cela s’ajoutent les contraintes d’ordre technique. « Si nous pouvons bénéficier des machines agricoles, cela nous soulagerait bien », plaide Christine Ninguin. D’ailleurs, la presse à manioc des transformatrices de Hayakpa en dit long sur leurs peines. C’est une bricole de bois relié à l’aide de fils de fer qui sert d’outil de transformation. Ici, la méthode utilisée est très ancienne et fait déployer beaucoup d’énergie. « Nous travaillons de manière archaïque. Nous voudrions qu’on nous amène à la modernité », plaide Sidonie Abou-Coco.
Au-delà de ces préoccupations, l’accès au financement demeure un véritable souci.
« A l’heure actuelle, la commune de Tori-Bossito ne dispose pas d’une seule banque. Les rares structures financières qui interviennent dans la commune n’ont pas la capacité de financer suffisamment un grand nombre de femmes »,
se désole le chef d’arrondissement de Tori-Avamè.
Les nombreuses contraintes liées à leur accès à la terre ont amené les femmes à mettre en place des groupements pour leurs activités agricoles. On retrouve les associations telles que Fifonsi, Ayidoté, Miniblo... Néanmoins, aucune d’elles ne dispose encore de son domaine propre pour l’agriculture.
Pourtant le Code foncier et domanial permet aux femmes d’aller vers les mairies pour bénéficier de l’exploitation d’une terre (par la mise à disposition des terres en jachère). « Il revient aux maires, à travers un mécanisme d’affermage, de les mettre en contact avec les propriétaires terriens », indique le juge Gilbert Togbonon.
Mais la mairie de Tori n’est pas encore dans cette dynamique. « Pour le moment, aucune action n’est encore envisagée en faveur de l’accès des femmes à la terre dans la commune », souligne le maire. Seule perspective, la constitution des fonds de garantie pour accompagner les maraîchers des deux sexes.

Les pesanteurs sociologiques

Pour améliorer l’accès des femmes à la terre, la riposte s’organise vaille que vaille dans le rang des chefs d’arrondissements, mais les résultats peinent à être visibles. « Nous faisons des lobbyings auprès des partenaires techniques et financiers pour les organiser en groupements et en coopératives en vue de bénéficier de petits financements », explique Augustin Vianou, avant de formuler ce plaidoyer : « Que le Programme d’action du Gouvernement intègre le renforcement de l’appui technique et financier aux agricultrices dans les communes rurales ». Pour le maire, « Nous sommes laissés pour compte. Nous attendons vivement des aides des partenaires techniques et financiers afin de corriger cette injustice faite aux femmes jusque-là dans notre commune ».
Mais avant, tous jugent essentiel de revenir sur les pesanteurs sociologiques et de faire évoluer les mentalités dans la localité. « Les femmes ne sont pas encore autonomes. Leurs maris ne leur concèdent pas encore ce droit », souligne Rosaline Hindémè. Pire, les hommes s’opposent aux actions des Ong, estimant que leurs sensibilisations visent à monter leurs femmes contre eux, s’étonne-t-elle. « Les femmes n’ont pas accès au foncier parce qu’elles sont toujours brimées par les hommes du fait des pesanteurs sociologiques. Ici, la femme est faite pour labourer la terre pour son mari », ajoute le chef d’arrondissement d’Azohouè-Cada, Parfait Koffi Amoussou.
Pour sa part, la direction des Affaires domaniales et environnementales de la mairie de Tori s’emploie à éveiller les consciences. « C’est quand les hommes viennent vers nous que nous essayons de les sensibiliser sur le droit d’accès des femmes à la terre. Ils comprennent progressivement », explique Gilbert Azonnassou.
C’est à travers la résolution A/RES/62/136 du 18 décembre 2007 que l’Assemblée générale des Nations Unies reconnaît le « rôle et l’apport décisifs des femmes rurales, notamment autochtones, dans la promotion du développement agricole et rural, l’amélioration de la sécurité alimentaire et l’élimination de la pauvreté en milieu rural ». Mais au Bénin, les fruits tardent à tenir la promesse des fleurs. Les élus locaux fondent leur espoir sur la vulgarisation du nouveau Code foncier et domanial en vue d’instaurer l’équité, en ce qui concerne l’accès des femmes à la terre. La vulgarisation certes, mais sa mise en œuvre effective serait mieux.