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Médecine traditionnelle au Bénin: Soif d’entrée en pharmacie

Santé
Par   Fulbert Adjimehossou, le 07 déc. 2022 à 11h33
Les phytothérapeutes veulent repositionner la médecine traditionnelle et la pharmacopée béninoise. En s’appuyant sur la recherche scientifique, ils nourrissent l’espoir d’avoir des produits sécurisés accessibles au public. Mais, des efforts restent à faire.Phytothérapeute, Raphaël Yao Tchidimè n’a « jamais été si optimiste » sur le repositionnement de la médecine traditionnelle. Le rapprochement entretenu par les praticiens et les scientifiques lui fait croire à la fin prochaine de la traversée du désert. « Je me demandais si nous allons en arriver là un jour au Bénin. Aujourd’hui, ça devient réalité. Des professeurs d’université, praticiens de la médecine traditionnelle s’associent pour démontrer la possibilité d’avoir des molécules à partir des plantes en vue de soigner nos populations », confie-t-il, au détour d’un séminaire scientifique, vendredi 2 décembre 2022. Ce spécialiste en phytothérapie ne se fait pas non plus des illusions pour prétendre que le Bénin ait de sitôt la réputation chinoise en la matière. Cependant, il rêve que d’ici quelques années, des médicaments à base de plantes soient disponibles en grand nombre en pharmacie et acceptés en médecine moderne. « Combien avons-nous de phytomédicaments dans les rayons de nos pharmacies ? Nous pouvons faire en sorte d’avoir des produits dignes et des phytopharmacies dans nos rues au Bénin et en Afrique», croit Raphaël Yao Tchidimè. En effet, la médecine traditionnelle constitue, selon l’Organisation mondiale de la Santé, « la somme de toutes les connaissances, compétences et pratiques reposant sur les théories, croyances et expériences propres à différentes cultures, qu’elles soient explicatives ou non, et qui sont utilisées dans la préservation de la santé, ainsi que dans la prévention, le diagnostic, l’amélioration ou le traitement de maladies physiques ou mentales ». A travers le monde, cette médecine très ancienne constitue un mode principal de prestations de soins de santé. Selon l’Oms, 80 % de la population en Afrique dépend des plantes pour les besoins sanitaires essentiels. « Toutes les plantes sont majoritairement des médicaments. Lorsque nous prenons l’arsenal de la pharmacie dite moderne, tout part des plantes. C’est normal que l’Afrique et le Bénin qui regorgent de nombreuses familles de plantes puissent servir de vivier à cette situation », explique Dr Victorien Dougnon, responsable de l’Unité de recherche en microbiologie appliquée et pharmacologie des substances naturelles (Urmapha) de l’Uac.

Fin du déni

On le sait, une proportion importante de produits pharmaceutiques sont issus de substances naturelles. C’est par exemple le cas de l’aspirine découverte grâce à des formules de médecine traditionnelle utilisant l’écorce de saule. Mais, la médecine traditionnelle est souvent sous-estimée par les services de santé. Beaucoup de praticiens béninois déplorent le défaut d’une « saine collaboration » avec les autres acteurs de la santé et de la recherche. « Avant, on nous prenait pour des sorciers avec qui on n’a pas envie de rester, voire de collaborer. Aujourd’hui, nous sommes acceptés parce que la science entre en jeu. Nous avons maintenant des médicaments améliorés qui sont approuvés », explique Augustin Hontongnon Kouglo, responsable du département de l’Ouémé. Sur le continent, une dynamique est en cours. Plus de 40 pays disposent en 2022 d’une politique nationale sur la médecine traditionnelle contre huit en 2000. Le Bénin fait de petits pas à son niveau. « Des décisions sont prises pour permettre à ce que la médecine traditionnelle soit effectivement d’actualité dans notre pays. Le fait même d’avoir créé un programme national de la pharmacopée et de la médecine traditionnelle au niveau du ministère de la Santé, prouve l’importance qu’accorde le gouvernement à cette thématique », souligne Professeur Mansourou Moudachirou, chimiste académicien. Mais les unités de fabrication locale de médicaments à base de plantes agréées peinent à se mettre en place. Les tradithérapeutes, pour diverses raisons, ne parviennent pas facilement non plus à avoir une autorisation de mise sur le marché pour leurs produits. Le défaut de formation et la qualité des analyses effectuées sur leurs produits en sont pour beaucoup dans ces échecs. « Il y a beaucoup de tradithérapeutes qui ne savent pas comment monter un dossier d’autorisation de mise sur le marché. Et je crois que nous pouvons les aider dans ce sens, dans l’intérêt de la communauté», renseigne Dr Victorien Dougnon. Ainsi, le triangle formé par les chercheurs, la médecine moderne et la médecine traditionnelle a tout son sens. La cohésion entre les différentes parties est nécessaire pour aider le Bénin à tenir le pari, comme c’est le cas ailleurs. Au moins 34 instituts de recherche sont consacrés à la recherche et au développement de la médecine traditionnelle dans 26 pays africains. C’est un secteur que Dr Victorien Dougnon voit prometteur, se référant à la Chine. « La médecine traditionnelle chinoise s’est imposée même au-delà de la Chine, et on ne conçoit pas au niveau de notre pays, nous sommes à des années-lumière, faute de cohésion », note l’enseignant chercheur, Maître de conférences en microbiologie. L’une des plus grandes batailles à mener est de pouvoir disposer d’une autorisation de mise sur le marché pour faire entrer les produits en pharmacie.