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Parlons Géopolitique : Gagner au loto… Et après ? Le syndrome hollandais Billet gagnant

Politique

Il y a plusieurs années, la télévision française a diffusé une émission qui m’a particulièrement intéressé. Elle s’intitulait : « Bas les masques ». Sur un modèle du genre « Que sont-ils devenus ? » Mireille Dumas, l’animatrice, avait réuni sur son plateau un certain nombre de personnes qui avaient eu la « chance » de gagner de très fortes sommes à la loterie.

Par   Eric Tévoédjrè, le 07 juin 2023 à 07h39 Durée 4 min.

Comme on peut s’y attendre, certains avaient su gérer leur fortune correctement et pouvaient encore être considérés comme « riches » plus de dix ans après cet événement qui a changé leur vie.
D’autres, par contre, avaient dilapidé leur argent en quelques années et s’étaient malheureusement retrouvés plus ou moins à la rue, en tout cas moins argentés qu’avant l’achat du fameux billet de loterie.
Autre élément intéressant : un des « bons gestionnaires », savait, des années à l’avance, qu’il remporterait le gros lot ! Il avait même élaboré une sorte de plan prévisionnel pour la gestion de cette fortune, même s’il en ignorait le montant.
Certains pays se sont retrouvés dans cette situation, où une manne « tombée du ciel » vient bouleverser les prévisions budgétaires les plus optimistes. Il peut s’agir de pétrole, de diamant, d’uranium ou d’une autre ressource objet de toutes les convoitises. Que faire ?

Commerce et prospérité

En 1817, l’économiste britannique David Ricardo publiait un de ses ouvrages les plus importants : Des principes de l’économie politique et de l’impôt.
Selon lui, la prospérité des pays est fonction de leur capacité à commercer avec d’autres pays. Plus le commerce international est dynamique, plus les acteurs de ce commerce sont prospères. En principe, toutes les nations possèdent un bien, une compétence qu’elles sont en mesure de produire à meilleur coût que d’autres nations. On appelle cela l’« avantage comparatif ». Il s’agit pour le pays d’identifier et de développer ce bien ou cette compétence. Une question que David Ricardo n’aborde pas (puisque le problème n’était pas connu à l’époque) est de savoir ce qu’il y a lieu de faire lorsque le développement d’un bien pour lequel on possède un avantage comparatif avéré se fait au détriment des autres secteurs de l’économie.

Le « syndrome hollandais »

À la fin des années 1950, le Royaume des Pays-Bas a découvert un énorme gisement de gaz naturel autour de la commune de Groningen. Dès 1963, cette découverte a donné naissance à toute une industrie d’extraction, de transformation et d’acheminement de cette ressource vers des millions de consommateurs, essentiellement du nord-ouest de l’Europe.
L’exportation massive du gaz naturel a eu pour effet d’augmenter la valeur du florin, la monnaie néerlandaise qui avait cours avant l’adoption de l’euro. En conséquence de cela, toutes les exportations néerlandaises ont été pénalisées, puisque leur prix avait mécaniquement augmenté, suite à l’appréciation du florin par rapport aux autres devises. Le plus grave est que plusieurs entreprises du secteur manufacturier ont dû licencier et même cesser leurs activités. L’économie néerlandaise s’est donc désindustrialisée.
Et puis, le gouvernement néerlandais s’est rendu coupable d’une imprudence grave : pensant que les réserves de cette ressource naturelle étaient plus ou moins inépuisables, il a décidé de lancer un vaste programme social afin d’aider les plus défavorisés. Ceux-ci ont donc commencé à percevoir des allocations dont on dit qu’elles étaient assez généreuses. Lorsque, malheureusement, le prix du gaz s’est effondré une dizaine d’années plus tard, le gouvernement s’est trouvé dans l’incapacité d’annuler ces allocations. C’est en 1977 que le journal The Economist a identifié ce mal sous le nom de « Dutch disease » (syndrome hollandais).

Que faire lorsque l’on remporte le gros lot ?

Avant de parler de cas concrets, autre que celui des Pays-Bas, faisons un peu de théorie simple.
Dans un excellent article paru en 20171, l’économiste Julien Pinter explique pourquoi est-ce que le pays qui exporte beaucoup voit sa monnaie s’apprécier par rapport aux autres monnaies.
Le pays qui a la chance de contrôler l’extraction et la vente d’une ressource naturelle de grande valeur doit donc comprendre que d’autres secteurs de son économie vont souffrir du fait que les exportations de ce produit créent un excédent commercial très important. Il s’agira donc pour le gouvernement de suivre quelques règles simples (sur le papier) de gestion et de gouvernance2 :
1/ Une gouvernance démocratique : le Royaume des Pays-Bas est une monarchie constitutionnelle, donc un État démocratique. De nombreux pays frappés par le syndrome hollandais n’ont pas cette chance énorme.
2/ Mettre en place une politique de création de biens publics qui va favoriser le climat des affaires, éduquer les citoyens et leur permettre de se maintenir en bonne santé
3/ Créer un fonds souverain, c’est-à-dire un fonds d’investissement contrôlé par l’État, dans lequel seront déposés les revenus générés par la vente de la ressource naturelle.
4/ Promouvoir la diversification de l’économie, afin que les principaux secteurs de l’économie nationale bénéficient de l’exploitation de la ressource naturelle tant convoitée par les autres pays n

* Professeur : Geopolitics and Regional integration
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(Endnotes)

1 «Pourquoi dit-on parfois qu’un excédent de balance commerciale peut entraîner une appréciation de la monnaie d’un pays ?» Julien Pinter, 11 septembre 2017 - url: https://www.bsi-economics.org/803-pourquoi-dit-on-quun-excedent-de-balance-commerciale-peut-entraine...

2 « La malédiction des ressources naturelles et ses antidotes », Gilles Carbonier (2013) https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2013-3-page-38.htm