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Tribune: A quelque chose, malheur est bon - leçon de chose à l’occasion de l’affaire Sodjinou

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Ambassadeur Dr. Théodore C. Loko Ambassadeur Dr. Théodore C. Loko

L’affaire Sodjinou, dans la mémoire collective, pourrait servir de point de conversion morale, un rappel que la dignité humaine n’est pas négociable, que la justice véritable ne se mesure pas à la force mais à la droiture, et que la politique ne vaut que si elle élève l’âme du citoyen.

Par   Théodore C. Loko, le 22 oct. 2025 à 03h46 Durée 3 min.
#affaire Sodjinou

Il est des événements tragiques qui, au-delà du tumulte qu’ils provoquent, deviennent de véritables révélateurs de conscience. L’affaire Sodjinou, dans toute sa douleur et sa complexité, a profondément secoué la société béninoise. Mais elle offre aussi, à qui veut bien y réfléchir, une occasion rare de s’interroger sur les fondements mêmes de la vie en communauté, sur la hiérarchie des raisons qui gouvernent l’action publique et privée. Car derrière chaque drame social, se cache toujours une leçon morale. Encore faut-il la discerner avec lucidité.

L’on distingue généralement trois formes de « raison » dans la conduite des affaires humaines: la raison d’État, la raison sociale et la raison morale. La raison d’État désigne cette logique propre au pouvoir politique, celle qui justifie certaines décisions au nom de la sécurité, de la stabilité ou de la grandeur nationale, même lorsque ces décisions heurtent la sensibilité morale. Elle se réclame d’un réalisme froid, convaincue que le salut collectif passe par des choix parfois douloureux. La raison sociale, quant à elle, cherche l’équilibre du vivre-ensemble, la cohésion entre les membres d’une société, l’harmonie entre les intérêts divergents. Elle est le ciment du lien civique, la recherche d’un consensus qui maintient la paix civile. Mais au-dessus de ces deux formes de rationalité, il existe une instance plus haute, plus exigeante : la RAISON MORALE, celle qui renvoie à la dignité de la personne humaine, au sens du bien et du juste, à ce que Kant appelait « la loi morale en nous». C’est elle qui, ultimement, donne sens à la politique et à la société, car aucune organisation humaine ne peut durer sans conscience du bien.

Lorsque la raison morale est reléguée à l’arrière-plan, la politique se déshumanise et la société se décompose. C’est pourtant cette dimension qui manque cruellement à notre monde contemporain, souvent dominé par la logique du calcul, du gain, ou du simple intérêt partisan.

L’affaire Sodjinou, dans ce contexte, sonne comme un avertissement : il ne suffit pas de gouverner selon les lois ni de vivre selon les coutumes, encore faut-il agir selon la conscience.

Le respect de la vie, la compassion, la vérité, ne peuvent être subordonnés ni à la raison d’État ni à la raison sociale. Ils en sont la source et la finalité. Là où la morale s’éteint, l’État devient froid et la société se durcit.

L’histoire universelle regorge de drames qui attestent du prix du manque de raison morale.

Lorsque les gouvernants ont fait taire la voix de leur conscience au profit de la seule logique du pouvoir, les nations se sont précipitées dans l’abîme. La Première Guerre mondiale, née de la démesure des ambitions impériales ; la Seconde, engendrée par la folie totalitaire; ou encore les tragédies plus récentes de certains régimes autoritaires, trouvent toutes leur racine dans le refus d’écouter la voix de l’humanité. À chaque fois que l’homme a préféré la force à la justice, l’efficacité à la droiture, l’intérêt à la vérité, le monde s’est couvert de ruines. Même les plus brillants architectes de ces politiques convaincus d’agir pour le bien de leur patrie ont fini par constater que la raison sans morale mène au chaos.

C’est ici que le dicton populaire prend tout son sens : à quelque chose, malheur est bon. Le malheur ne devient porteur de bien que s’il nous ramène à l’essentiel, s’il réveille en nous cette conscience endormie qui fait de l’homme un être responsable.

L’affaire Sodjinou, dans la mémoire collective, pourrait alors servir de point de conversion morale, un rappel que la dignité humaine n’est pas négociable, que la justice véritable ne se mesure pas à la force mais à la droiture, et que la politique ne vaut que si elle élève l’âme du citoyen.

Ainsi, le drame peut devenir lumière, pour peu que la société accepte de tirer leçon de ses blessures. L’État lui-même y trouverait profit, car il n’est véritablement fort que lorsqu’il est juste. La société y gagnerait en humanité, car elle se souderait autour des valeurs communes de respect et de compassion. Et l’homme, enfin, y retrouverait sa grandeur, celle qui le rend capable de choisir le bien même quand il coûte.

Au fond, la véritable sagesse politique réside dans cette antique maxime : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. » Le savoir, la puissance, l’organisation sociale, les institutions mêmes, tout cela n’a de sens que si l’homme garde vivante en lui la flamme de la morale. Sans elle, la science devient instrument de destruction, la politique un art de domination, et la société une mécanique sans cœur. Mais avec elle, même le malheur peut devenir école, et l’histoire, une maîtresse de vertu.

Enseignant-chercheur