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Le projet Riviera sur Gaza, qui consisterait à transformer la bande de Gaza en une zone économique spéciale et un pôle touristique méditerranéen, apparaît, au premier regard, comme une initiative prometteuse sur les plans économique et humanitaire. Toutefois, ce projet soulève une série de contradictions juridiques et politiques majeures, qui questionnent la compatibilité de son exécution avec le droit international et les droits fondamentaux du peuple palestinien.
La bande de Gaza est une étroite bande littorale de 365 km² située au carrefour du Moyen-Orient, bordée par Israël au nord et à l’est, l’Égypte au sud-ouest, et la mer Méditerranée à l’ouest. Historiquement :
1. Période ottomane et mandat britannique (XVIe siècle – 1948)
- Sous l’Empire ottoman, Gaza faisait partie du district administratif de la Syrie ottomane.
- Après la Première Guerre mondiale, la Société des Nations place la Palestine sous mandat britannique (1922), préparant une administration internationale, sans souveraineté palestinienne reconnue.
2. Création d’Israël et guerres israélo-arabes (1948 – 1967)
-Après la guerre de 1948 et la proclamation de l’État d’Israël, Gaza passe sous administration égyptienne.
- La guerre des Six Jours (1967) conduit à l’occupation israélienne de Gaza, intégrée aux territoires palestiniens occupés avec la Cisjordanie.
3. Processus de paix et accords d’Oslo (1993)
- Les accords d’Oslo I (1993) et Oslo II (1995) prévoient un transfert progressif de compétences à l’Autorité Palestinienne (AP), tout en maintenant le contrôle israélien sur les frontières, l’espace aérien et maritime.
- Gaza devait devenir un laboratoire d’autonomie palestinienne, mais les blocages politiques, les tensions sécuritaires et le développement des colonies israéliennes ont empêché la stabilisation du territoire.
4. Retrait israélien et blocus (2005 – aujourd’hui)
- Israël se retire unilatéralement de Gaza en 2005 (plan de désengagement), mais maintient le contrôle de son espace aérien, maritime et de ses frontières terrestres.
- Depuis 2007, le Hamas exerce le pouvoir à Gaza, entraînant un blocus sévère israélo-égyptien, accompagné de multiples conflits armés (2008, 2012, 2014, 2021, 2023-2024).
C’est dans un tel contexte que le projet « Riviera » sur Gaza viserait à transformer Gaza en zone économique spéciale et destination touristique méditerranéenne, intégrant:
1. Infrastructures touristiques et portuaires
- Aménagement du littoral de Gaza pour accueillir des complexes hôteliers, ports de plaisance, zones franches et infrastructures énergétiques (gaz offshore).
2. Zone économique spéciale
- Développement d’un hub de commerce et de services reliant le Moyen-Orient à la Méditerranée.
- Participation d’investisseurs privés internationaux sous garanties israéliennes et égyptiennes.
3. Cadre politique et sécuritaire
- Contrôle sécuritaire israélien renforcé en contrepartie d’investissements.
- Coopération internationale sous l’égide d’un mécanisme onusien ou d’accords bilatéraux régionaux.
4. Narratif stratégique
- Transformation de Gaza en « Riviera » pourrait être présentée comme un levier de paix économique, mais risque de masquer la question de la souveraineté palestinienne.
Le projet Riviera sur Gaza, qui consisterait à transformer la bande de Gaza en une zone économique spéciale et un pôle touristique méditerranéen, apparaît, au premier regard, comme une initiative prometteuse sur les plans économique et humanitaire. Il s’inscrirait dans une logique de « paix économique » visant à favoriser la stabilité régionale par le développement et l’investissement international.
Toutefois, ce projet soulève une série de contradictions juridiques et politiques majeures, qui questionnent la compatibilité de son exécution avec le droit international et les droits fondamentaux du peuple palestinien.
D’abord, il convient de souligner que Gaza est reconnue par les Nations Unies comme faisant partie des territoires palestiniens occupés.
Selon la Quatrième Convention de Genève (1949), une puissance occupante n’a pas le droit d’exploiter économiquement un territoire occupé à son profit. L’exploitation des ressources naturelles et des infrastructures de Gaza dans un cadre dominé par Israël risquerait ainsi de constituer une violation du droit international humanitaire, en particulier du principe de la souveraineté permanente des peuples sur leurs ressources naturelles. Cette souveraineté a été explicitement réaffirmée par la Résolution 1803 (XVII) de l’Assemblée générale de l’Onu, qui établit que les peuples sous domination coloniale ou occupation étrangère conservent un droit inaliénable sur leurs ressources.
Ensuite, ce projet se heurte au droit à l’autodétermination du peuple palestinien, inscrit dans l’article 1er commun aux deux pactes internationaux de 1966.
La Cour internationale de Justice (Cij), dans son avis consultatif sur les conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé (2004), a confirmé que la construction d’infrastructures par la puissance occupante, en l’absence de souveraineté palestinienne, viole ce droit fondamental. Dans ce contexte, la transformation de Gaza en « zone économique spéciale » pourrait être perçue comme une tentative de déterritorialisation politique, réduisant la question palestinienne à une problématique économique, au détriment de ses revendications politiques et souveraines.
Enfin, toute initiative d’envergure telle que le projet Riviera nécessiterait la mise en place d’un cadre multilatéral robuste Pour qu’un tel projet soit légitime, il devrait s’inscrire dans un cadre de gouvernance internationale garantissant la participation active des Palestiniens et le respect des normes internationales.
Des mécanismes similaires ont été envisagés dans d’autres contextes de reconstruction postconflit, comme au Kosovo ou au Timor-Leste, où l’Onu a supervisé les projets de développement afin de prévenir les abus de pouvoir.
La mise en place d’un consortium international associant les Nations Unies, l’Autorité palestinienne, l’Égypte, et des bailleurs internationaux pourrait offrir une solution équilibrée.
Toutefois, l’absence de règlement politique global du conflit israélo-palestinien limite considérablement la viabilité d’une telle approche. En l’absence d’un accord de paix garantissant un État palestinien souverain, toute tentative de développement risque de se transformer en instrument de légitimation de l’ordre existant.
Conclusion
Le projet Riviera sur Gaza, s’il symbolise une opportunité économique et humanitaire, soulève une série de contradictions juridiques et politiques. Il met en tension :
• L’exploitation économique d’un territoire stratégique,
• Le droit des Palestiniens à l’autodétermination,
• Et les principes juridiques internationaux relatifs aux territoires occupés.
Sa mise en œuvre nécessiterait un cadre multilatéral robuste, garantissant la souveraineté palestinienne et la participation des acteurs locaux, sans quoi il serait perçu comme une extension de l’occupation et non comme un projet de paix.
Le projet Riviera illustre les ambiguïtés des approches économiques dans les conflits prolongés. Gaza possède un potentiel de développement indéniable, mais celui-ci ne peut être dissocié des enjeux de souveraineté, de sécurité et de justice internationale. Toute tentative de mise en œuvre, sans une vision politique globale et inclusive, risque d’être perçue comme une stratégie visant à normaliser l’occupation et marginaliser les revendications palestiniennesn
Enseignant-chercheur
Ambassadeur Dr. Théodore C. Loko