La Nation Bénin...
Luc Gnacadja et Roël Houdanon sont respectivement président de GPS-Development et facilitateur de sa Commission «Territoires Durables ». À travers cette tribune, ils appellent à faire de la gestion durable des terres et de la restauration des écosystèmes un chantier national, la condition essentielle pour consolider la croissance économique du Bénin, renforcer sa résilience climatique et offrir aux générations futures un avenir florissant.
Une croissance qui cache une fragilité
L’agriculture est la locomotive de la croissance remarquable de notre économie. Elle assure l’essentiel de nos exportations, nourrit nos villes en pleine expansion et fait vivre des millions de ménages ruraux. Mais cette réussite a un revers. Elle s’est bâtie au prix d’une externalité préjudiciable : la dégradation de la ressource de base qu’est la bonne santé de nos sols.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes: dans certains départements comme le Zou ou l’Atacora, plus de 90 % des terres sont déjà dégradées. À cela s’ajoutent la perte progressive de nos forêts, la réduction drastique du couvert végétal et l’érosion de la biodiversité. Ces dynamiques, combinées aux effets du changement climatique, expliquent la vulnérabilité accrue de notre pays face aux sécheresses, aux inondations et aux crises alimentaires.
Nous avons construit une croissance qui repose sur un socle fragile. Restaurer ce socle est désormais une urgence nationale.
Reboisement: Des décennies d’efforts… mais des résultats encore limités
Le Bénin n’est pas resté inactif. Depuis 1985, la Journée nationale de l’arbre traduit notre volonté de reverdir le pays. Chaque 1er juin, ministres, préfets, élus locaux et écoliers plantent des milliers de jeunes arbres. Ce rituel, répété quarante fois, a marqué notre imaginaire collectif.
Mais les chiffres sont implacables: entre 2001 et 2024, le Bénin a perdu près de 48 000 hectares de couvert arboré, soit 28 % depuis 2000. Le reboisement annuel, estimé à 8 000 hectares, reste insuffisant : il faudrait six années d’efforts pour compenser une seule année de déforestation.
Pourquoi ces résultats restent-ils limités ? Parce que trop souvent, la plantation se réduit à l’acte symbolique. Faute d’arrosage, de gardiennage ou de suivi, les taux de survie des plants plafonnent entre 20 et 30 % dans plusieurs communes. Parce que la pression des feux de brousse, du charbonnage ou de l’agriculture migratoire est plus forte que nos gestes isolés. Parce que nous avons confondu plantations rapides et restauration véritable des écosystèmes.
Au fond, cet échec relatif tient au fait que le reboisement, tel qu’il est pratiqué, demeure une réponse marginale, ponctuelle et déconnectée des causes profondes de la déforestation et de la dégradation des sols. Tant qu’il ne sera pas pensé comme une composante d’une stratégie systémique, intégrant la gestion durable des terres, la gouvernance foncière, la lutte contre les pratiques destructrices et la valorisation économique des services écosystémiques, il restera incapable d’inverser la tendance.
La gestion durable des terres : un impératif socio-économique
La dégradation des terres n’est pas une simple question environnementale. C’est un frein majeur à notre prospérité. Elle menace directement la sécurité alimentaire, les revenus des agriculteurs, la disponibilité en eau, la biodiversité et même la paix sociale dans les zones rurales. Elle aggrave notre vulnérabilité aux aléas climatiques, accroît les inégalités et nourrit les migrations forcées.
À l’inverse, la restauration des terres est un formidable levier de transformation. Chaque hectare restauré, c’est un champ qui produit à nouveau, une famille qui retrouve des revenus, une communauté qui se renforce face aux sécheresses, un territoire qui reprend espoir. Restaurer nos terres, c’est donc bien plus qu’une option écologique: c’est une condition de croissance durable et inclusive.
Des solutions qui marchent, ici et maintenant
Heureusement, sur le terrain, des solutions locales prouvent chaque jour que la restauration est possible et porteuse de prospérité. Dans le Mono, des communautés restaurent les mangroves tout en développant l’ostréiculture régénératrice. Dans l’Atacora, des exploitants pratiquent l’agroforesterie avec des cacaoyers ombragés et des karités, conciliant productivité agricole et préservation de la biodiversité. À Kandi, des forêts communautaires, gérées directement par les villages, génèrent des revenus alternatifs grâce au miel et aux produits forestiers non ligneux.
Ces exemples montrent une vérité essentielle : lorsqu’on considère la restauration non comme un décor politique, mais comme un capital productif, elle devient rentable, durable et désirable. Ce sont ces initiatives qu’il faut valoriser, amplifier et essaimer à l’échelle nationale.
Les leviers pour changer d’échelle
Pour transformer ces réussites locales en une dynamique nationale, cinq leviers sont incontournables :
1. La gouvernance foncière: restaurer une terre sans sécuriser les droits d’usage est voué à l’échec. Les femmes et les jeunes, en particulier, doivent avoir la garantie de bénéficier durablement des fruits de leurs efforts.
2. Le financement adapté : la restauration nécessite des mécanismes financiers innovants (paiements pour services écosystémiques, contrats carbone communautaires, partenariats public-privé, etc.) qui assurent la viabilité économique des projets.
3. L’intégration dans les politiques publiques : la gestion durable des terres doit sortir de son isolement sectoriel pour irriguer l’agriculture, la décentralisation, les finances publiques et l’aménagement du territoire.
4. La transparence et la consolidation des données : un dispositif national de collecte et de suivi, avec publication régulière des résultats (nombre de plants, taux de survie, crédits engagés), est indispensable pour bâtir la confiance et mobiliser les acteurs.
5. Le reboisement urbain et rural planifié et co-construit avec les communautés : certaines communes, comme Abomey-Calavi, innovent avec des plans canopée qui visent à combler le déficit arboré, protéger le potentiel existant et orienter les financements vers des résultats durables. Ce type de mécanisme pourrait inspirer un modèle national de reboisement efficace face à la crise de déforestation permanente.
Une initiative nationale en préparation : un pas concret vers l’action
C’est dans cette logique qu’est mise en gestation une initiative nationale de promotion de la restauration des écosystèmes dégradés, initiée et facilitée par GPS-Development en concertation avec le ministère du Cadre de vie et du Développement durable, le ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche, le Ministère de l’Économie et des Finances, et le ministère de la Décentralisation et de la Gouvernance locale.
Inscrite dans la Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes (2021–2030), cette initiative entend faire émerger un mouvement ascendant reliant les bonnes pratiques locales aux politiques publiques afin d’en amplifier les résultats tangibles.
Elle repose sur trois objectifs stratégiques :
a) Sensibiliser aux causes et aux impacts socioéconomiques de la dégradation des écosystèmes;
b) Identifier et promouvoir, dans chaque commune, les projets de restauration les plus impactants;
c) Valoriser les meilleures initiatives à travers un dispositif national de reconnaissance, de diffusion et de soutien à la mise à l’échelle.
Les résultats attendus sont clairs:
1. Une meilleure compréhension des causes de la dégradation et des bénéfices de la gestion durable des terres (Gdt) pour les économies locales et les communautés ;
2. La mise en lumière des projets les plus prometteurs et innovants en matière de restauration ;
3. L’intégration des bonnes pratiques dans les politiques publiques et leur diffusion par un réseau d’acteurs engagés.
Par ce dispositif, il ne s’agit plus de juxtaposer des actions dispersées ou symboliques, mais de bâtir une entreprise nationale cohérente et inclusive, où chaque projet local reconnu devient un maillon d’un effort collectif. Ce changement de cap peut positionner le Bénin comme pionnier régional en matière de restauration des terres et des écosystèmes.
Restaurer la terre, sécuriser l’avenir
Le moment est venu de dépasser les gestes symboliques et les rapports qui s’accumulent sans infléchir la dégradation. Il s’agit désormais de transformer la restauration de nos terres en un chantier de prospérité nationale partagée et résiliente.
Restaurer la terre, c’est investir dans notre sécurité alimentaire. C’est réduire nos dépenses liées aux catastrophes climatiques. C’est offrir des emplois durables aux jeunes et aux femmes. C’est renforcer la paix sociale.
Mais cela exige une responsabilité collective et un leadership politique à la hauteur de l’enjeu. Le gouvernement doit intégrer la gestion durable des terres dans toutes ses politiques. Les collectivités locales doivent en faire une priorité de leurs plans de développement. Le secteur privé doit investir dans les solutions fondées sur la nature. La société civile et les communautés doivent être au cœur de la mise en œuvre. Et chaque citoyen peut, à son échelle, contribuer à préserver ce patrimoine vital.
Restaurer nos sols pour bâtir la prospérité de demain
La gestion durable des terres n’est pas un luxe écologique. C’est une nécessité vitale, le socle de notre sécurité alimentaire, de notre résilience climatique et de notre cohésion sociale. Chaque hectare restauré est une promesse tenue, chaque terre rendue vivante est un pas vers un avenir plus sûr, plus équitable et plus prospère.
Nos sols dégradés ne sont pas une fatalité : ils sont des actifs en attente de nos soins, prêts à redevenir fertiles et productifs pour le bénéfice des générations présentes et futures.
Le Bénin peut être pionnier en Afrique de l’Ouest s’il choisit dès maintenant d’inscrire la restauration des sols au cœur de son projet de développement.
Restaurer nos sols, c’est sécuriser notre potentiel de croissance inclusive ; c’est donner à nos jeunes une chance, à nos communautés une résilience, et à notre pays une prospérité durable.
Le temps n’est plus aux symboles, mais à une gouvernance de nos ressources naturelles capable de transformer nos sols dégradés en capital de prospérité.
Au sujet des auteurs
Luc GNACADJA et Roël HOUDANON