La Nation Bénin...
Au Bénin, l’apprentissage du chinois n’est plus une curiosité marginale réservée à une poignée d’initiés. En l’espace de trois décennies, cette langue a conquis les salles de classe, les amphithéâtres et surtout le cœur des jeunes. D’une dizaine d’étudiants en 1988, ils sont aujourd’hui des milliers à s’y intéresser.
L’ouverture de l’Institut Confucius en 2009 a marqué un tournant décisif dans l’apprentissage de la langue chinoise au Bénin. De 1 000 apprenants en 2012, le chiffre est passé à près de 10 000 en 2018. Une croissance fulgurante révélatrice de l’attrait qu’exerce la Chine sur les jeunes générations.
Au nombre des facteurs de cette progression, il y a d’abord la curiosité culturelle suscitée par les films, séries, musiques et traditions chinoises. Ensuite, les perspectives économiques jouent un rôle majeur. La présence accrue d’entreprises chinoises au Bénin et dans la sous-région stimule une demande de traducteurs, d’interprètes et de cadres bilingues. Enfin, les bourses d’études en Chine constituent un puissant levier. Comme le souligne le sinologue, Dr Vignon Maurice Gountin, enseignant-chercheur à l’Institut Confucius de l’Université d’Abomey-Calavi (Uac), « Aucun diplômé en langue chinoise n’est resté au chômage ».
Pour Sèna Florine Mira Davo, titulaire d’une licence professionnelle en langue chinoise, la passion pour le mandarin est née dès son adolescence. Elle a eu l’opportunité de visiter la Chine. « C’est en suivant des documentaires et feuilletons sur la chaîne chinoise Cgtn que je me suis intéressée à cette langue », confie-t-elle.
De son côté, Houéfa Belmonde Fulberte Clombessivou, étudiante en troisième année de licence à l’Institut Confucius, raconte avoir franchi le pas en 2023 après son baccalauréat, encouragée par son frère et nourrie par son attrait pour les films chinois.
Jules Zinsou Assogba, vainqueur de la troisième édition du concours Coupe Tecno-Pont vers le chinois, évoque, quant à lui, l’influence d’un cousin et la fascination exercée par les films diffusés à la télévision.
Culture et nouveaux horizons
Si les chemins d’accès sont différents, le premier contact avec la langue chinoise reste souvent une épreuve. « Rien n’est jamais facile dans la vie », rappelle Sèna Davo.
« Si certains trouvent le chinois difficile, d’autres le trouvent facile. Pour ma part, ce n’est pas si compliqué à condition d’avoir de la passion et de la volonté », a-t-elle poursuivi.
Jules Assogba, pour sa part, reprend un proverbe chinois pour illustrer son expérience: «Yi qie kai tou nan», qui signifie: « Seul le début est difficile ». Une idée que partage Houéfa Clombessivou : « Tout dépend de la passion. Si on aime ce que l’on fait, on s’y sent à l’aise » .
Au-delà des efforts d’apprentissage, l’univers culturel qui accompagne la langue séduit les étudiants. « J’apprécie la simplicité du chinois, qui n’est pas encombré par une multitude de règles grammaticales et de conjugaisons », observe Sèna Davo.
Pour Houéfa Clombessivou, la langue chinoise est indissociable d’une philosophie de vie, véhiculant globalement la culture chinoise.
« La convivialité et la simplicité de ses locuteurs m’ont ouvert de nouveaux horizons et une autre vision du monde », argumente-t-elle. Jules Assogba, lui, s’émerveille de «l’histoire de chaque caractère, des proverbes et expressions idiomatiques ».
Mais l’apprentissage du chinois ne relève pas seulement d’une quête d’enrichissement personnel. Ses avantages sont aussi professionnels. La maîtrise du mandarin (la variante du chinois la plus parlée au monde) améliore considérablement l’employabilité.
«Les entreprises chinoises présentes au Bénin recrutent volontiers des traducteurs et interprètes », témoigne Houéfa Clombessivou.
Sèna Davo insiste également sur la possibilité de « faciliter le commerce avec la Chine » et de créer des ponts à l’échelle mondiale. Jules Assogba partage cet avis, soulignant que les bénéfices s’étendent aux échanges et à l’ouverture sur la sous-région.
Des défis persistants
L’engouement pour le chinois se traduit aussi par une participation croissante aux concours internationaux tels que le «Chinese Bridge », compétition de prestige où s’illustrent chaque année des jeunes Béninois. Sèna Davo, arrivée deuxième lors de la 3e édition du concours de compétence en chinois dénommé « Coupe de Tecno-Pont vers le chinois » en mai dernier, aurait aimé avoir un soutien national pour mieux s’illustrer. « J’ai constaté que les autres pays valorisent fortement leurs représentants. J’aimerais que le Bénin accorde davantage d’importance à cette compétition », souhaite-t-elle.
Chaque année, le nombre d’apprenants augmente, porté par le bouche-à-oreille, la popularité des séries chinoises et la visibilité des opportunités. Pourtant, l’apprentissage reste semé d’embûches. L’absence de pratique régulière avec des locuteurs natifs, le manque de supports pédagogiques adaptés et parfois le coût des études constituent des freins.
Houéfa Clombessivou relève également un obstacle particulier. « Utiliser uniquement le français pour enseigner le chinois crée un double défi cognitif », relève-t-elle. « Associer nos langues locales pourrait faciliter l’assimilation», propose-t-elle.
Du côté des enseignants, les défis sont aussi structurels. Dr Vignon Maurice Gountin plaide pour une démocratisation accrue de l’enseignement. « Il faut aller vers les écoles primaires et secondaires, sensibiliser les enfants très tôt, et créer des Chinese Corners, des clubs de discussion avec des Chinois », avance-t-il. Ces espaces d’immersion, insiste-t-il, pourraient pallier l’insuffisance d’occasions de pratique et rendre la langue plus vivante.
Plaidoyers et perspectives
Tous les acteurs s’accordent sur un point : l’Etat béninois doit jouer un rôle plus actif. Sèna Florine Mira Davo suggère d’« introduire l’enseignement du chinois dans les écoles, offrir des bourses et stages de perfectionnement en Chine aux professeurs, et multiplier les activités culturelles ».
Jules Assogba propose, quant à lui, de « lancer des campagnes de sensibilisation dans les collèges et lycées », afin de susciter très tôt des vocations. Houéfa Clombessivou suggère d’« associer l’apprentissage aux centres d’intérêt des jeunes », pour mieux capter leur attention.
Ces doléances rejoignent celles des spécialistes, qui estiment que l’avenir de la langue chinoise au Bénin dépendra de la capacité à la rendre accessible, attractive et valorisée au plus haut niveau. Le soutien du gouvernement, la coopération avec la Chine et l’implication de la société civile seront déterminants pour franchir un nouveau palier.
Une clé d’ouverture sur le monde
Au-delà des statistiques et des recommandations, l’histoire de ces jeunes témoigne d’une quête d’ouverture et d’accomplissement. En apprenant le chinois, ils ne cherchent pas seulement à maîtriser une langue étrangère, mais à bâtir des ponts culturels et économiques entre leur pays et l’une des plus grandes puissances du monde. Leurs parcours illustrent la soif d’un Bénin jeune, audacieux et tourné vers l’avenir.
Comme le souligne Jules Assogba, « Il faut persévérer avec discipline et chercher toujours à devenir meilleur ». Un message qui résume bien l’esprit de cette génération.
Dans les amphithéâtres de l’Institut Confucius comme dans les salles de classe des lycées, la langue chinoise est plus qu’une langue étrangère. Elle est devenue l’expression d’un rêve collectif, d’un avenir ouvert et connecté au monde.