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Patrice Sagbo du réseau Jinukun à propos des semences locales: « Nous menons une lutte holistique pour le bien-être de tous »

Environnement
Patrice Sagbo Patrice Sagbo

La disponibilité et l’utilisation libre des semences locales et paysannes au Bénin doivent se perpétuer comme c’est le cas depuis des millénaires. Pas donc de semence unique. C’est l’un des combats que mènent les agro-écologistes béninois pour la protection, la sauvegarde, la disponibilité des semences locales et paysannes et la souveraineté alimentaire. Patrice Sagbo, ingénieur en santé et protection animales, membre du Réseau national pour la protection des ressources génétiques au Bénin (Jinukun) et grand activiste de la nature, évoque ici les enjeux de la lutte pour la conservation des semences locales.

Par   Ariel GBAGUIDI, le 25 juin 2025 à 10h55 Durée 2 min.
#protection animales #Santé

La Nation : Qu’entend-on par semence locale ?

Patrice Sagbo : Partons d’abord de la semence elle-même qui est une entité biologique, vivante qui assure la pérennisation de la vie pour le bonheur de toute l'humanité. Elle est d'origine végétale, animale et piscicole. Elle est même dans les micro-organismes que nous ne voyons pas.

La semence locale existe depuis des millénaires. Lorsque les premiers peuples sont nés, ils ont eu besoin de se soigner, de manger, de rester en harmonie avec l'environnement. Et dans la Bible, Genèse 1, Dieu a créé le ciel et la terre, l'eau, les rivières, le soleil et la nuit, etc. Et au sixième jour, il a dit à l'homme, je te confie tout ça pour que tu t'en nourrisses. C'est ça l'origine. Donc, c'est grâce aux efforts de conservation des hommes, des peuples, des communautés que nous avons aujourd’hui le maïs, le manioc, etc. C'est pour cela que nous devons soutenir ces efforts faits depuis des millénaires par nos paysans, nos communautés locales pour que nous-mêmes nous puissions en jouir aujourd’hui et conserver de sorte que cela puisse bénéficier également aux générations futures.

Les écotypes sont les semences importées, qui sont venues et qui ont pris des couleurs. Ce sont les couleurs qu’on appelle écotypes. Ces semences sont venues d'ailleurs, se sont ajoutées, se sont adaptées à nos terres, à nos conditions climatiques et on les appelle écotypes quand bien même elles ne sont pas originaires de chez nous. Tout cela associé à celles que nous avons déjà s'appelle semences locales.

Les semences paysannes sont celles qui proviennent directement de nos paysans, qui connaissent comment on les utilise, comment on les manipule, comment on les conserve, comment on les transforme pour vraiment se nourrir.

 

Vous faites partie des acteurs qui luttent pour la conservation de ces semences. Pourquoi un tel combat ?

C'est au vu des menaces auxquelles nous sommes exposés. Les semences uniques ne donnent aucun accès libre à nos paysans et à nos consommateurs. Les gens mettent des brevets sur les semences uniques et disent que ce sont eux qui en ont le monopole. Ce sont eux qui décident de l’augmentation des prix, qui décident de ci et de ça.

Qu’il vous souvienne, depuis les années 90, il y a l'avènement des organismes génétiquement modifiés. En effet, il y a une poignée de commerçants de semences dans le monde qui ont pris en otage le secteur semencier dans le monde entier et surtout l'Afrique, qui savent que l'Afrique est un gros marché. Pour eux, les Africains ne peuvent pas vendre des semences. Les Africains doivent seulement consommer les semences qu’eux-autres produisent. Pour eux, les Africains ne peuvent pas avoir la mainmise sur leurs propres semences. Ça veut dire que si nous devons semer à chaque saison, nous devons être suspendus à leurs lèvres. Ce sont eux qui décident si on doit semer ou pas. Ce sont eux qui décident du prix de nos semences. Ce sont eux qui décident si on doit diversifier. Il se fait qu'ils nous proposent des semences uniques. Ils ne respectent pas le principe de la biodiversité, le principe de la diversité des semences parce qu'on nous dit quand même que dans le droit des consommateurs, le consommateur est libre de décider de ce qu’il veut manger. C'est lui qui choisit. Il choisit là où il doit planter, quand il va planter. Et tout ça, c'est la souveraineté alimentaire qui est un principe très cher pour nous.

C'est pour cette raison que nous nous battons pour que nos semences ne disparaissent pas, ou bien qu’elles ne soient pas remplacées par des semences que nos paysans ne maîtrisent pas, des semences qu’ils n'ont pas la capacité de reproduire eux-mêmes. Nous ne voulons pas être dépendants. C'est pour cela que nous sommes vigilants et nous faisons la veille permanente.

Au fond, les semences uniques ne sont-elles pas une opportunité, vu la poussée démographique du continent?

Vous êtes sans doute au courant que nous nous battons contre l’Union pour la protection des obtentions végétales (Upov). L’Upov dit: puisque les semences nous appartiennent, nous mettons des règles de restriction pour que plus personne n'accède à ces semences sans que nous ayons décidé de ceci ou de cela. Si tu utilises ces semences sans avoir leur autorisation préalable, on peut te mettre en prison. Et même les sous-produits issus de ces semences que tu as achetées peuvent te conduire en prison. C’est inacceptable !

L’Upov ne reconnaît pas les lois nationales qui contrôlent, sauvegardent et conservent les semences de chez nous. Elle interdit aux paysans de conserver, de produire, de vendre, de distribuer ses semences. L’Upov dit qu’avant que tes semences soient reconnues, elles doivent remplir plusieurs conditions dont celle de l’uniformité. Le danger lorsque vous avez une semence comme cela, qui n'est pas diversifiée, c’est que lorsqu’une catastrophe arrive, tout disparaît. Si une maladie frappe cette semence dont on parle, il n’y a rien qui subsiste, alors qu’ici, avec nos semences locales, lorsqu’une maladie frappera une variété, vous avez plusieurs autres variétés qui vous aideront à continuer par produire pour la sécurité alimentaire. Le paysan du Bénin n’a pas besoin d’aller solliciter l’autorisation avant de produire. Il produit quand il veut, il connait les saisons, il produit où il veut pour d’abord satisfaire ses besoins et le surplus est vendu sur le marché.

Donc, notre lutte n'est pas une lutte orientée. Non, c'est une lutte holistique. Elle n'est pas dressée contre quelqu'un. C'est pour le bien-être de tout le monde.

En toute franchise, est-ce que l’agroécologie peut nourrir nos pays ?

Depuis une trentaine d'années, Jinukun avait parlé des Organismes génétiquement modifiés, mais les gens n’y avaient pas cru. Au Burkina Faso, sous le régime Compaoré, toute l’Afrique de l’Ouest s’est mobilisée pour marcher contre l’introduction des Ogm dans le pays. Les autorités n’ont pas voulu écouter. On les a laissées faire, et vous avez vu ce qui s’est passé.

Toutes les promesses que Monsanto leur a faites par rapport au coton sont allées à l'eau. Les gens leur avaient dit qu’ils auront plus de production, que la fibre va augmenter de longueur. Malheureusement, la fibre est devenue plus ramollie  qu’ils n’en ont jamais vu. Le coton du Burkina Faso est déclassé complètement. Je ne sais plus s’ils ont vraiment renoncé à Monsanto et quel rang le pays occupe.

Le Bénin leur a ravi la vedette tout en restant dans le traditionnel. Ça veut dire que la solution n’est pas dans les Ogm. Le Bénin n'a pas fait de coton Ogm, mais il dépasse aujourd'hui le Burkina Faso. Il produit plus de coton que le Burkina Faso qui était le premier dans la sous-région. Donc, ceux qui demandent si l’agroécologie peut nourrir le monde ont la réponse à leur question.

De plus, est-ce que le Bénin est en guerre ? C'est lorsqu’il y a la guerre qu'on dit qu'il n'y a pas à manger, qu'on peut donner n'importe quoi aux populations. Ici, nous sommes un pays en paix. Nos populations sont disponibles. En 2008, lorsqu'il y a eu le dernier épisode de faim dans la sous-région, après avoir subventionné le pain, les pâtes, etc., le gouvernement a créé ce qu'il a appelé Programme d'urgence d'appui à la sécurité alimentaire (Puasa). Il a amélioré les vallées, donné les semences et les intrants et a fait le suivi et consorts. Les paysans ont produit au-delà des attentes et le gouvernement n'a même pas été capable d'offrir les infrastructures pour mieux conserver. Dans la même période, avec ses réserves, le Bénin est allé en aide au Niger et au Togo. Je m'en souviens encore comme si c'était hier. Ça veut dire que les paysans ont démontré leur capacité à travailler pour la sécurité et la souveraineté alimentaires du Bénin.

Avez-vous l'impression d’être entendu dans ce combat contre les semences uniques ?

Nous, nous n’allons jamais baisser les bras. Nous continuerons parce que ce que nous faisons, c'est pour accompagner les différents gouvernants dans l'atteinte de l’objectif qui est l'accès à la nourriture, l'accès à l'alimentation saine. Ceux qui avaient refusé l'agroécologie hier sont revenus aujourd'hui pour dire : on fait un programme national pour l'agroécologie au Bénin. Nous avons aujourd'hui une stratégie nationale pour le développement de l'agriculture biologique et agroécologique. Les résultats ne nous satisfont pas encore, mais nous n’en sommes pas déçus non plus. Nous savons que tout ce que nous disons a des impacts, résonnent dans les oreilles de qui de droit. Et nous allons continuer la sensibilisation et la mobilisation à travers diverses activités que nous mettons en œuvre depuis des années.