La Nation Bénin...
Depuis le mois d’août, c’est la saison de l’igname au Bénin. Ce tubercule, symbole de fertilité et de prospérité selon la tradition, envahit marchés et abords de routes. A Parakou, Tchaourou et dans les localités environnantes, de nombreuses femmes se lancent dans sa commercialisation.
Aux
abords de la voie inter-Etats à l’entrée sud de Parakou, les yeux du voyageur
sont attirés par une enfilade de tas d’ignames soigneusement disposés. Les
tubercules, empilés par variétés et par grosseur, attendent des clients :
automobilistes de passage, motocyclistes, riverains ou autres commerçants de
détail. Les prix varient de 1 500 à 3 000 francs Cfa selon la variété, la
taille et la qualité. La scène n’est pas nouvelle. Chaque année, dès le mois
d’août, les abords des routes de Parakou, Tchaourou et des environs se
transforment en véritables marchés à ciel ouvert. La fête de l’igname, célébrée
le 15 août à Savalou et dans plusieurs autres localités, a marqué la
disponibilité officielle de ce tubercule sur les marchés. Depuis, la campagne
bat son plein et de nombreuses femmes s’y engagent. Il s’agit d’une activité
saisonnière pour certaines et un véritable complément de revenu familial pour
d’autres. Parmi ces femmes, on en découvre qui sont des vendeuses habituelles
de vivriers qui ajoutent l’igname à leur palette de produits saisonniers.
D’autres sont de simples ménagères ou de petites entrepreneures qui saisissent
l’occasion pour arrondir leurs fins de mois. « Nous achetons directement chez
les cultivateurs dans les champs. Ensuite, nous exposons ici au bord de la
route. C’est plus pratique, car les passants s’arrêtent
facilement
», explique Alimatou, vendeuse saisonnière d’ignames depuis plusieurs années à
Parakou. Le commerce au bord des routes profite aussi aux cultivateurs. Faute
de structures de stockage ou de réseaux de distribution organisés, beaucoup de
producteurs préfèrent céder leur récolte directement aux revendeuses. Celles-ci
avancent parfois de l’argent pour garantir l’achat d’un périmètre de récolte,
créant ainsi un circuit court entre le champ et le consommateur. « Sans ces
femmes, il serait difficile d’écouler toute notre production. Elles viennent
jusqu’au champ, négocient et achètent sur place. Nous, on gagne du temps et on
évite le transport », confie Raimi Tchassouké, cultivateur d’ignames à
Tchaourou.
Enormes
opportunités
A
Parakou, Tchaourou et environs, l’igname n’est pas seulement un aliment de
base, c’est aussi un levier économique pour les femmes. Certaines parviennent à
dégager des bénéfices substantiels en quelques semaines. « Je vendais des
condiments. Mais quand la saison de l’igname arrive, je renforce mon activité
avec la vente de ce tubercule. C’est plus rentable. Avec mes bénéfices, je peux
assurer la rentrée scolaire de mes enfants », confie Alimatou. Pour d’autres,
l’activité reste plus modeste. Certaines ménagères investissent de petites
sommes pour acheter quelques dizaines de tubercules qu’elles écoulent petit à
petit, espérant mobiliser de quoi assurer la subsistance familiale. Si ce
commerce saisonnier est une bouffée d’oxygène pour beaucoup de foyers, il n’est
pas exempt de difficultés. Les prix connaissent de fortes fluctuations selon
l’abondance de la récolte, la variété et la spéculation sur les marchés. « Les
clients négocient beaucoup et parfois, on est obligé de vendre à perte. En
plus, il y a la concurrence. A chaque carrefour, vous trouvez des femmes avec
leurs tas d’ignames », déplore Adjara, vendeuse rencontrée à Tchaourou. Les
conditions de vente posent également problème. Exposées au soleil, à la
poussière et aux risques liés à la circulation, ces commerçantes exercent
souvent dans des conditions précaires. Dans certains cas, les autorités locales
tolèrent ces installations, dans d’autres, elles procèdent à des
déguerpissements pour libérer les abords des routes. « Nous restons en alerte
tout le temps puisque les autorités locales et la police peuvent débarquer à
tout moment et ramasser nos marchandises », indique Adjara.
Activité
vitale
L’igname,
au-delà de sa valeur marchande, conserve une forte dimension culturelle et
symbolique. Aliment de base dans plusieurs régions du Bénin, elle est au centre
de nombreuses traditions. La fête des ignames, célébrée chaque année, marque le
début de sa consommation officielle et reste un moment de rassemblement
identitaire. Dans ce contexte, sa commercialisation ne relève pas seulement de
l’économie. Elle traduit aussi l’importance de ce tubercule dans la vie
sociale, religieuse et culturelle des communautés. Face à l’importance de cette
activité, certains acteurs suggèrent une meilleure organisation des circuits de
distribution. Des espaces aménagés au bord des routes, des points de vente
encadrés ou encore des coopératives de vendeuses pourraient améliorer les
conditions de vente des commerçantes et renforcer leur pouvoir de négociation.
« Si nous étions regroupées en associations ou coopératives, on pourrait mieux
discuter les prix avec les producteurs et éviter la spéculation. Nous avons
besoin aussi de cadres appropriés pour vendre », estime Adjara, vendeuse
rencontrée à Tchaourou. En attendant, la vente d’ignames au bord des routes
reste une activité vitale pour de nombreuses familles. Dans un contexte marqué
par la hausse du coût de la vie et la précarité des revenus, chaque saison
offre une fenêtre économique à saisir. L’igname devient ainsi, le temps de
quelques mois, un véritable moteur de survie et de résilience économique. Pour
ces femmes, ce tubercule n’est pas seulement un produit agricole : c’est une
source de dignité, d’autonomie et de perspectives pour leurs enfants■
Empilés avec soin, les tubercules attendent acheteurs au bord des routes