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Développement en Afrique: Le diagnostic d’économistes qui relance les débats

Economie
Le professeur James Robinson a proposé une lecture renouvelée de l'histoire politique et économique  de l'Afrique subsaharienne Le professeur James Robinson a proposé une lecture renouvelée de l'histoire politique et économique de l'Afrique subsaharienne

Le professeur James Robinson, prix Nobel 2024 de l’économie, et l’économiste international Adama Diaw ont livré deux analyses complémentaires sur la trajectoire historique, politique et économique de l’Afrique subsaharienne. Entre héritages précoloniaux, fragmentation institutionnelle, fragilités contemporaines et potentiels encore sous-exploités, leurs communications ont mis en lumière les ressorts profonds du développement sur le continent lors des Journées scientifiques de l’économie béninoise.

 

Par   Babylas ATINKPAHOUN, le 03 déc. 2025 à 07h41 Durée 3 min.
#Afrique #Développement

La contribution du professeur James Robinson a constitué l’un des moments forts des Journées scientifiques de l’économie béninoise. À travers une relecture originale de l’histoire politique et économique africaine, il a cherché à expliquer la singularité du continent dans le contexte de la grande divergence économique mondiale observée ces vingt dernières années.

Contrairement à certaines théories qui attribuent les difficultés actuelles à une déficience structurelle, James Robinson a rappelé qu’avant la colonisation, l’Afrique était profondément fragmentée, avec des milliers de communautés autonomes. Selon lui, cette fragmentation n’était pas un signe de faiblesse mais l’expression d’une logique sociale sophistiquée, centrée sur les relations humaines. Au cœur de cette logique, il a développé le concept de « wealth in people», soit une forme de richesse fondée non sur l’accumulation matérielle mais sur la capacité à attirer, fédérer et fidéliser des personnes. Dans de nombreuses sociétés africaines, la valeur d’un individu, d’un clan ou d’un lignage dépendait de sa force relationnelle. Cette norme a produit deux effets majeurs dont une grande cohésion communautaire et une méfiance structurelle à l’égard de la centralisation excessive du pouvoir. Ainsi, même les royaumes relativement centralisés tels que le Dahomey ou le Zoulou reposaient sur des structures hybrides, combinant pouvoir politique et organisation lignagère. Cette architecture institutionnelle a fait la spécificité de l’État africain précolonial. L’une des thèses fortes défendues par le professeur James Robinson est que l’Afrique, contrairement à d’autres régions du monde, s’est caractérisée par une ouverture exceptionnelle envers les étrangers. L’allogène n’était pas considéré comme un danger mais comme une ressource sociale susceptible de renforcer les réseaux relationnels. Cette norme d’inclusion, combinée à un haut niveau de tolérance entre communautés, a favorisé la coexistence pacifique mais limité les logiques de conquête, de domination territoriale et de centralisation du pouvoir.

De même, les institutions économiques et religieuses ont reflété cette philosophie que l’économie n’était pas orientée vers l’accumulation capitalistique, et la religion, centrée sur les ancêtres, n'avait pas vocation à s’étendre ou à convertir. Ces structures, bien adaptées au contexte local, ont cependant rendu les sociétés africaines vulnérables aux chocs extérieurs avec la traite négrière, la colonisation, l’imposition d’un État moderne perçu comme étranger.

Diagnostic institutionnel et économique

Le prix Nobel de l’économie résume cette trajectoire en trois traits fondamentaux qui façonnent encore aujourd’hui les institutions africaines. Il parle de combinaison singulière de collectivisme et d’individualisme, qui structure les relations sociales et l’organisation communautaire. Ensuite, il évoque une ouverture traditionnelle envers les étrangers, considérés davantage comme une ressource sociale que comme une menace, et enfin, l’absence de religion universelle comparable aux doctrines grecques, chinoises ou abrahamiques qui ont légitimé ailleurs l’autorité centralisée.

Dans une analyse complémentaire, le professeur Adama Diaw s’est penché sur les performances économiques de l’Afrique subsaharienne, marquées par de fortes inégalités entre pays malgré un potentiel largement reconnu. Il a souligné que les explications classiques telles que la dotation en ressources, la géographie, le commerce ne suffisent pas à comprendre cette divergence persistante. Pour lui, la clé réside dans la qualité des institutions politiques, qui orientent, filtrent ou déforment les politiques publiques.

Le professeur Adama Diaw est revenu sur la vaste littérature consacrée au lien entre démocratie et croissance. Si certains travaux mettent en évidence un effet positif, d’autres concluent à un impact neutre ou conditionnel, dépendant du niveau de consolidation démocratique. Plus tranchée est la conclusion sur l’instabilité politique, largement identifiée comme un frein majeur au développement. Elle accroît le risque perçu par les investisseurs, décourage l’investissement et perturbe le fonctionnement normal de l’économie. À cela s’ajoute le rôle déterminant de la corruption, dont les effets négatifs sur la performance économique ont été largement confirmés. Adama Diaw a rappelé que la corruption détériore l’État de droit, affaiblit l’efficacité des dépenses publiques, augmente les coûts pour les entreprises et mine la confiance des citoyens. Les données récentes qu’il a présentées montrent que les pays ayant amélioré leurs institutions, en matière de démocratie, de stabilité politique et de contrôle de la corruption ont enregistré une croissance plus forte, davantage d’investissements étrangers et une inflation mieux maîtrisée. Pour le professeur Adama Diaw, la prospérité africaine dépend avant tout de la consolidation institutionnelle. Sans institutions robustes, l’Afrique ne pourra ni atteindre les Objectifs de développement durable (Odd), ni réaliser les ambitions de la Vision africaine 2063.