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Simon A. Dinan, président de l’Association béninoise des communes frontalières: « Nous devons œuvrer pour l'épanouissement des populations de ces zones »

Décentralisation
Simon Adébayo Dinan, maire de Pobè et président de l’Abcf Simon Adébayo Dinan, maire de Pobè et président de l’Abcf

En vue d’une meilleure coopération transfrontalière, le Bénin et le Nigeria ont entrepris, cette semaine à Parakou, à la suite de plusieurs autres actions, de transformer les espaces de dialogue des aires linguistiques Baatonou, Boo et Yoruba-Nago en des cadres de concertation dotés, chacun, d’un plan d’action, d’un mémorandum d’entente. En marge de cet événement, Simon Adébayo Dinan, maire de Pobè et président de l’Association béninoise des communes frontalières (Abcf) revient, dans cette interview exclusive, sur les enjeux et défis de la coopération transfrontalière entre les deux pays.

Par   Ariel GBAGUIDI A/R Borgou-Alibori p.i, le 20 mai 2025 à 07h18 Durée 4 min.
#communes frontalières

La Nation : Monsieur Simon Adébayo Dinan, quelle est, aujourd’hui, la situation dans les communes frontalières avec le Nigeria, qui oblige les deux pays et les aires linguistiques Baatonou, Boo et Yourba-Nago à se retrouver autour d’une même table pour élaborer un plan transfrontalier de développement local pour chaque aire linguistique ?

Simon Adébayo Dinan : Les populations des communes frontalières ont le sentiment d’être oubliées, délaissées. Elles sont frustrées. De la frustration naît la révolte et de la révolte peut naître l'extrémisme violent et tout ce que nous ne souhaitons pas. Donc, pour les dirigeants que nous sommes, nous devons quand même œuvrer pour l'épanouissement des populations de ces espaces frontaliers.

Mais il faut reconnaître qu'au niveau du Bénin, à travers l’Agence béninoise de gestion intégrée des frontières (Abegief), il y a beaucoup d'actions qui ont été menées et d’autres qui sont en cours à l'endroit des populations des espaces frontaliers.

Quelles sont les sources de problèmes ou de conflits entre les populations transfrontalières ?

Il y a, entre autres, la question de la transhumance et les conflits entre éleveurs et agriculteurs. Même s'il y a aujourd'hui des textes au Bénin, qui réglementent cela, ce secteur continue d'être une source de problèmes. Ensuite, il y a la gestion des ressources naturelles. Nous rencontrons aussi d'autres petites situations, notamment par rapport au commerce transfrontalier sur lequel nous devons travailler afin de réguler cela. Nous sommes dans l'espace Cedeao qui promeut la libre circulation des personnes et des biens. Donc, chaque Etat devrait s'organiser pour l'effectivité de cette disposition de la Cedeao.

Quels sont les défis à relever dans les communes frontalières avec le Nigeria ?

En termes de défis dans les espaces frontaliers, il faut s'appuyer sur trois piliers. Le premier, c’est la sécurisation des frontières à travers la mise en place et la construction des commissariats de police qui seront dotés de matériel adéquat et de personnel.

Le deuxième pilier sur lequel nous devons travailler, c'est le développement des espaces frontaliers. Et cela, c'est à travers la réalisation des infrastructures socio- communautaires de base, notamment les centres de santé, les écoles, l'accès à l'électricité, à l'eau, au réseau téléphonique et l'accessibilité des voies et pistes rurales. C'est un problème crucial aujourd'hui dans les espaces frontaliers.

Le troisième pilier, c'est la coopération transfrontalière. Il faut créer des cadres de concertation de part et d'autre pour que les populations puissent collaborer et communiquer, parce qu'en réalité, il n'y a pas de frontière. Nous sommes les mêmes. Si nous partons de Sèmè-Podji jusqu'à Malanville, vous verrez qu'il n'y a pas de frontière. Lorsque vous prenez les communes de Sèmè-Podji, Adjarra et Avrankou, les populations parlent la langue Tori avec leurs homologues de Badagry au Nigeria. Lorsque vous allez dans le département du Plateau, les cinq communes à savoir Ifangni, Sakété, Adja-Ouèrè, Pobè et Kétou, et vous remontez vers les départements du Borgou et des Collines avec des communes telles que Savè, Ouèssè et Tchaourou, nous parlons les mêmes langues que nos frères d’Ogun State de l'autre côté du Nigeria, notamment le Yoruba. Et lorsque vous montez un peu vers les communes de Pèrèrè, Nikki, Kalalé, sans oublier une partie de Tchaourou, c'est la langue Baatonou. Lorsque nous évoluons vers Ségbana, entre autres, c'est le Boo et du côté de Malanville, c'est le Dendi.

Tout cela pour dire qu'en réalité, il n'y a pas de frontière. Ce sont les colons qui nous ont divisés. Et donc la frontière, il faut la connaître, l'accepter, mais il faut surtout l'effacer. Pour effacer les frontières, il faut travailler pour la promotion de la coopération transfrontalière. Voilà un peu les défis que nous devons relever et je pense que nous travaillons véritablement pour y arriver.

Ce n'est pas la première fois qu'on évoque ce genre de sujet. C’est à croire que cela n’évolue pas sur le terrain malgré les efforts déployés par les gouvernements du Bénin et du Nigeria. Finalement, ne serait-on pas fondé de penser que ces cadres de concertation seront des regroupements de plus ?

Ces cadres ne seront pas des regroupements de plus. D'abord, au niveau du Bénin, comme je l'ai précisé, il y a beaucoup d'actions que le gouvernement mène au niveau des communes frontalières à travers l’Abegief. Et depuis 2021 que nous avons pris les rênes de l'association, nous avons décidé d'en faire une association proche des populations. Donc, chaque année, nous organisons des tournées dans les communes frontalières du Bénin. Au terme de notre première série de tournées en 2021, nous avons rédigé notre rapport que nous avons déposé au chef de l'État. Ce qui l'a amené à créer depuis 2022, le Programme d’urgence de développement des espaces frontaliers (Pudef). C’est un Programme dans lequel il a été fait obligation à tous les ministères sectoriels de mettre un accent sur les espaces frontaliers, dans leur planification annuelle. Ce qui fait qu'aujourd'hui, il y a beaucoup d'actions qui sont menées en faveur de nos communes frontalières.

Par rapport aux cadres de concertation, nous avons eu la grâce de participer à la mise en place du Schéma d'aménagement transfrontalier intégré (Sati) à Korhogo, en Côte d'Ivoire et à Bakel, au Sénégal. De cette expérience, nous avons vu que ces cadres de concertation intéressent nos partenaires. Ils sont prêts à financer des projets intégrateurs. Un projet où les bénéficiaires sont à la fois les populations de deux ou plusieurs pays intéresse. Donc, la mise en place de ces cadres permettra de mobiliser les ressources pour régler des problèmes. Les problèmes que la partie béninoise seule ou la partie nigériane seule ne peut pas régler. Or, quand elles se mettent ensemble, il est facile de trouver des financements pour les régler. Quand je prends, par exemple, la question de la réalisation du pont de Savè, je suis certain que lorsque nous allons finaliser la mise en place du cadre de concertation, ce problème fera partie des premiers défis que nous allons relever, pour ne citer que cette action.

En gros, la mise en place des cadres de concertation est une action très importante qui va déboucher sur plusieurs projets à réaliser pour la quiétude et l’épanouissement des populations des espaces frontaliers.

Un mot pour conclure cet entretien.

Je voudrais, à travers l’Abegief et la Nbc, féliciter et encourager les gouvernements du Bénin et du Nigeria pour les efforts qui sont déployés. Je remercie aussi nos partenaires et j’invite tous les acteurs impliqués dans la gestion des espaces frontaliers à se mettre véritablement ensemble pour que nous puissions relever les défis qui sont les nôtres. Nous avons besoin de sécuriser nos frontières. Quant aux maires, je nous invite à nous engager davantage et à donner priorité à nos frontières pour la paix dans nos pays et pour la promotion de la coopération frontalière.