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Ornella Tchuente, fondatrice de l’Indice Influence AfricaineTM: « Talon incarne l’autorité silencieuse qui bâtit un héritage durable »

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Ornella Tchuente Ornella Tchuente

Ornella Tchuente, stratège d’image et d’influence, fondatrice du référentiel Influence AfricaineTM, s’est récemment illustrée par une évaluation sous plusieurs prismes du chef de l’Etat béninois, dont son leadership singulier fait, selon elle, d’autorité silencieuse et de vision générationnelle. À travers la présente interview, elle décrypte les fondements dudit référentiel. 

Par   Lhys DEGLA, le 25 août 2025 à 10h11 Durée 4 min.
#Ornella Tchuente #Patrice Talon #AfricaineTM

La Nation : Qu’est-ce qui a motivé l’initiative de l’Indice d’Influence Africaine™ ? 

Ornella Tchuente : Ma vision est claire : bâtir une élite d’influenceurs éthiques et stratégiques qui, par leur posture, leurs choix et leur héritage, transforment la perception et la place de l’Afrique dans le monde. Je refuse que nos modèles africains soient lus à travers des prismes extérieurs qui minimisent ou dénaturent leur influence. J’ai donc créé l’Indice d’Influence Africaine™, une méthodologie inédite qui permet de mesurer l’influence de manière enracinée.

A partir de ce baromètre, vous décrivez Patrice Talon comme l’« archétype du président-entrepreneur ». Qu’est-ce qui, dans son parcours, selon vous, en fait un modèle unique en Afrique ?

Patrice Talon illustre parfaitement cette figure du président-entrepreneur, car il a d’abord construit sa légitimité par l’économie avant de la traduire dans l’exercice du pouvoir politique. Son parcours est singulier : parti d’un secteur hautement stratégique, le coton,  il a bâti un empire qui lui a valu le surnom de « Roi du coton». Cette réussite économique n’a pas été une fin en soi, mais un tremplin vers une influence plus large, où l’expérience de gestion, la rigueur et la logique entrepreneuriale sont devenues des atouts politiques.

Ce qui le distingue, c’est sa capacité à appliquer dans la gouvernance les réflexes de l’entrepreneur ; une vision long terme plutôt que la gestion du quotidien, l’efficacité et la discipline plutôt que l’agitation politique. Son style de gouvernance peut être décrit comme une “dictature de l’efficacité” : peu de discours populistes, beaucoup de rigueur dans le suivi des projets. Il n’est donc pas l’archétype du politicien traditionnel, mais celui d’un architecte du développement, capable d’articuler ambition économique, vision de gouvernance et efficacité opérationnelle.

Patrice Talon incarne une génération de leaders africains qui démontrent que l’on peut passer du monde des affaires à la sphère publique sans renier ses codes, mais en les mettant au service du collectif. C’est en cela qu’il représente un repère pour l’Afrique : la démonstration qu’un dirigeant peut conjuguer succès économique privé et impact public durable. 

Votre Indice d’Influence Africaine™ est très différent des classements classiques de popularité. En quoi votre grille renouvelle-t-elle la façon d’analyser le leadership ?

L’Indice d’Influence Africaine™ se distingue des classements traditionnels parce qu’il ne s’arrête pas à la visibilité ou à la popularité numérique. Trop souvent, on confond leadership avec présence médiatique, nombre d’abonnés ou buzz éphémère. Or, ces critères sont incapables de refléter la profondeur et la singularité de l’influence africaine. La grille propose un changement de paradigme : elle mesure l’essence de l’influence, et non sa façade. Elle repose sur cinq dimensions culturelles et stratégiques qui révèlent la vraie portée d’un leader: l’autorité: silencieuse,  influencer sans bruit, être cité même en son absence ; héritage délibéré: incarner une identité enracinée et transmissible ; rayonnement: sélectif choisir ses espaces d’impact plutôt que d’être partout; transcendance temporelle: bâtir un héritage qui dépasse les cycles d’actualité; densité: symbolique créer une signature      immédiatement reconnaissable.

En d’autres termes, l’Indice ne dit pas : “Qui fait le plus de bruit?” Il répond plutôt à la question : “Qui laissera une trace durable, cohérente et respectée ?” C’est une approche plus qualitative, enracinée et stratégique qui renouvelle profondément la manière d’analyser le leadership africain, en lui redonnant ses propres codes, plutôt que de l’évaluer à travers des standards extérieurs.    

 

Le Bénin affiche une croissance soutenue. Mais la Banque mondiale rappelle les défis de productivité et d’inclusion. Comment conciliez-vous croissance économique et qualité de la croissance dans votre évaluation ?

La croissance économique, lorsqu’elle est exprimée uniquement en chiffres, peut donner une image flatteuse mais incomplète. Un pays peut afficher +6 % de Pib, mais si cette dynamique ne se traduit pas en inclusion, en productivité et en redistribution équitable, son impact reste limité dans la vie réelle des citoyens.

Dans mon approche avec l’Indice d’Influence Africaine™, je considère que la valeur d’un leadership ne se mesure pas seulement par la performance économique brute, mais par la qualité de la transformation produite. Cela rejoint deux dimensions essentielles de ma grille: la transcendance temporelle: est-ce que les réformes et investissements créent des bases durables qui survivront aux cycles politiques ? L’héritage délibéré : est-ce que les choix de gouvernance s’enracinent dans une vision culturelle et sociétale qui élève le peuple dans sa globalité ?

Dans le cas du Bénin, la croissance est indéniable, mais l’enjeu est désormais de transformer cette performance en croissance inclusive : renforcer l’éducation et l’accès aux opportunités pour les jeunes, améliorer la productivité agricole et industrielle pour ne pas dépendre uniquement des services ou du coton, assurer que les femmes, les communautés rurales et les classes moyennes bénéficient directement de cette dynamique.

Vous accordez 10/10 en «transcendance temporelle » grâce à la Vision 2060 Alafia. Qu’est-ce qui prouve, selon vous, que ce projet dépasse le simple effet d’annonce ?

Je dirai qu’une annonce captive l’instant, mais une vision captive les générations.

La plupart des projets politiques africains souffrent d’un mal récurrent. Ils brillent au moment de leur lancement, mais disparaissent dans l’oubli, faute de continuité ou de crédibilité. La Vision 2060 Alafia, au contraire, porte en elle plusieurs éléments qui traduisent une réelle volonté de dépasser l’effet d’annonce. D’abord, la cohérence symbolique. Le choix même du mot « Alafia » qui signifie paix et prospérité en yoruba ancre la vision dans une culture et une mémoire collective. On n’est pas dans un slogan importé, mais dans un projet qui parle le langage de son peuple. Cette dimension culturelle est essentielle à la longévité : un projet enraciné dans une identité résiste mieux au temps.

Ensuite, l’architecture institutionnelle : la Vision 2060 Alafia ne se limite pas à une promesse présidentielle ; elle est structurée autour de programmes, d’infrastructures et de cadres de suivi mesurables. On le voit à travers la mise en place de zones industrielles, la diplomatie culturelle et les investissements dans des infrastructures stratégiques qui excèdent le calendrier électoral.

Enfin, l’effet de projection générationnelle : penser 2060, c’est déjà inscrire le Bénin au-delà d’un mandat, au-delà d’un cycle politique. C’est accepter que les fruits ne seront pas récoltés par un seul dirigeant mais par une succession de générations. Cette humilité temporelle, rare en politique, est en soi un signe de transcendance.

Évidemment, comme toute vision, Alafia sera jugée sur sa capacité à tenir ses promesses dans la durée. Mais aujourd’hui, elle a déjà franchi un cap important: elle a créé une espérance collective. Et une vision qui devient espérance partagée cesse d’être un simple effet d’annonce pour commencer à s’inscrire dans l’histoire.

La Zone industrielle de Glo-Djigbé (Gdiz) est présentée comme un tournant. Quels critères utilisez-vous pour mesurer son véritable impact au-delà des chiffres annoncés?

Mon rôle, à travers l’Indice d’Influence Africaine™, n’est pas de rivaliser avec les économistes, mais d’observer comment un projet s’inscrit dans une trajectoire de leadership et d’héritage. Pour la Gdiz, les chiffres officiels parlent d’eux-mêmes : plus de 10 000 emplois directs créés selon les autorités, une usine textile intégrée de dimension mondiale en cours de finalisation, et déjà des exportations concrètes, comme des vêtements Made in Benin envoyés vers U.S. Polo Assn. ou 80 000 pièces livrées à Kiabi. Ces éléments sont publics et vérifiables. Mais au-delà des statistiques, ma grille d’analyse repose sur d’autres critères, la qualité des emplois : sont-ils vraiment porteurs d’avenir pour les jeunes et les femmes ? La pérennité de l’écosystème : est-ce que la zone devient un cadre structurant, avec ses services, ses certifications et une vision long terme ? La perception citoyenne : est-ce que les familles béninoises sentent concrètement que leur quotidien change ?

En tant qu’analyste d’influence, je regarde donc deux choses : l’effet symbolique la Gdiz devient-elle un marqueur de fierté nationale et de rayonnement continental? L’effet vécu: est-ce que les populations se reconnaissent dans ce projet, ou est-ce qu’elles le perçoivent comme une vitrine distante ? C’est ce double regard  qui permet d’évaluer si la Gdiz est vraiment un tournant pour le Bénin.

Le port de Cotonou est devenu un hub régional. En quoi cette infrastructure renforce-t-elle l’influence du président Talon au niveau africain ?

Quand j’analyse le leadership du président Patrice Talon à travers l’Indice d’Influence Africaine™, je ne regarde pas seulement ses discours, mais aussi les symboles concrets qui traduisent sa vision. Le port de Cotonou en est un exemple frappant. C’est aujourd’hui le poumon économique du Bénin, responsable de près de 90 % des échanges extérieurs et contribuant à plus de la moitié du Pib national. Et ce n’est pas qu’une statistique : en février 2025, la Banque africaine de Développement a validé un financement de 80 millions d’euros pour moderniser et étendre le port. Cela montre bien que cette infrastructure est perçue comme stratégique à l’échelle régionale et internationale. Au-delà des chiffres, ce qui m’intéresse, ce sont les effets symboliques. Le port de Cotonou est devenu une plateforme régionale indispensable, notamment pour les pays enclavés comme le Niger, le Burkina Faso ou le Mali. C’est aussi un exemple de rayonnement sélectif: le Bénin n’a pas cherché à être partout, mais a investi dans un hub précis qui change son poids dans la sous-région. Enfin, il y a une dimension de transcendance temporelle: les investissements et les partenariats internationaux autour de ce port dépassent largement un mandat présidentiel. Ils s’inscrivent dans une logique générationnelle. N’oublions pas le soft power culturel : le port de Cotonou ne se limite pas à ses performances logistiques. Son mur d’enceinte est devenu une véritable œuvre d’art à ciel ouvert : une fresque monumentale de 660 mètres, déjà considérée comme la plus longue du monde, avec l’ambition de s’étendre progressivement sur l’ensemble des murs du port pour atteindre 1,3 km. Ce projet, porté par un collectif de graffeurs, retrace l’histoire du Bénin et met en scène le vivre-ensemble entre religions et communautés. En transformant une infrastructure économique en symbole culturel, le Bénin projette une image d’ouverture, de fierté et de créativité qui dépasse les frontières.

Vous évoquez un «rayonnement sélectif » sur Facebook et Twitter/X. Qu’est-ce qui compte le plus: le nombre d’abonnés ou la qualité de l’audience touchée?

Pour moi, la question du rayonnement ne se réduit pas à un concours de chiffres. On peut avoir un million d’abonnés et très peu d’impact réel, ou avoir une audience plus restreinte mais composée d’acteurs-clés qui relaient, qui citent et qui transforment réellement une image en influence.

Dans l’Indice d’Influence Africaine™, le rayonnement sélectif ne mesure donc pas la masse, mais la pertinence. Ce qui compte, c’est : la qualité des interactions, la capacité à dominer certains espaces ciblés et surtout la cohérence entre le message et l’audience. Dans le cas du président Patrice Talon, je n’ai pas accès aux statistiques précises de ses réseaux sociaux. Mais même sans ces données, ce que l’on peut observer, c’est qu’il ne cherche pas à être omniprésent ni à saturer l’espace digital. Il choisit ses prises de parole, ses canaux et ses moments, et c’est précisément cela qui crée un effet de rareté et de poids. 

Vous affirmez que le « modèle béninois » inspire déjà Lagos ou Kigali. Qu’est-ce qui est réellement transférable de cette expérience à d’autres pays africains ?

 Je suis avant tout observatrice et stratège, non pas maître des solutions universelles. Mon Indice d’Influence Africaine™ est construit pour mettre en lumière les dynamiques de leadership durable, enraciné et symbolique. Et quand je parle d’inspiration par le “modèle béninois”, c’est précisément ce que je vois fonctionner non comme un schéma à copier à l’identique, mais comme un prisme de réflexion applicable ailleurs. Voici trois aspects bien concrets, inspirés du Bénin, que je juge transférables, et qui se font déjà remarquer dans des contextes comme Kigali ou Lagos : une vision générationnelle, au-delà du cycle politique. Le Bénin, avec ses projets comme la Vision 2060 Alafia ou l’extension du port, montre comment un État peut penser hors des mandats électoraux. J’ai observé cette même posture à Kigali, qui planifie déjà au-delà de 2040, et à Lagos, qui structure son développement métropolitain sur les décennies à venir.  Le cas des infrastructures intégrées au service d’une influence subrégionale comme le port de Cotonou. Ce positionnement résonne dans des villes comme Lagos, qui cherchent à devenir des hubs régionaux. Enfin, un leadership symbolique et cohérent. L’action du port, des zones industrielles ou de la diplomatie culturelle est perçue comme incarnée, cohérente, enracinée. C’est cette combinaison d’efficacité et de storytelling local qui suscite de l’adhésion, et c’est ce que des villes comme Kigali tentent de refléter dans leur posture internationale.

Patrice Talon a annoncé qu’il ne briguerait pas de troisième mandat. Comment mesurez-vous, dans votre Indice, la résilience d’un système politique face au départ d’un tel leader ?

La résilience d’un système politique ne se mesure pas seulement dans sa stabilité immédiate, mais dans sa capacité à continuer à fonctionner quand un leader se retire. Le cas de Patrice Talon en est une illustration forte : son refus catégorique d’un troisième mandat, confirmé à plusieurs reprises en 2025, inscrit son influence dans une dynamique institutionnelle plutôt que dans une logique de pouvoir personnel. En d’autres termes, la résilience se construit quand les institutions continuent d’incarner une vision, même après le départ du leader. Et c’est précisément cette continuité qui fait la différence entre un pouvoir personnel et une influence véritablement architecturale.

Enfin, si vous deviez résumer en une formule l’influence de Patrice Talon, quelle serait-elle ?

Pour moi, Patrice Talon incarne l’autorité silencieuse qui bâtit un héritage durable. Il n’a pas cherché à séduire par le bruit, mais à transformer par la structure, en laissant une trace qui dépasse son mandat et s’inscrit déjà dans l’histoire du Bénin et de l’Afrique.