La Nation Bénin...
Etre
enfant mendiant au Bénin, c’est renoncer malgré soi à l’éducation scolaire.
Certaines localités du pays peinent à surmonter cette lacune, en violation
flagrante de la loi. Le risque d’enrôlement des enfants hors de l’école par
les terroristes dans le septentrion rend
la plaie plus béante.
L’image qui frappe chez le petit Abou, âgé de 12 ans environ, n’est pas seulement son visage innocent marqué par ses yeux vifs. C’est surtout sa capacité à négocier sa pitance au milieu d’une foule de passagers sur le parc d’une compagnie de voyage à Kandi, en cet après-midi du mardi 12 août 2025.
Ce
jeune garçon en âge d’être scolarisé ne sait pratiquement rien de l’école.
Impossible de lui arracher le moindre mot en français. Son école, c’est la rue.
Ses livres et cahiers, c’est son plastique qu’il porte en bandoulière pour
capter l’attention des bonnes volontés. Son écritoire, les jetons qu’il
collecte sur son parcours de mendiant.
A
Kandi et à Parakou, la mendicité infantile a pignon sur rue. Sillonnant les
artères à longueur de journée à la recherche du pain quotidien, les enfants
concernés finissent par en faire un métier. Sous le regard souvent indifférent
des pouvoirs publics.
Le
tableau de bord social sur la protection de l’enfant 2024 évalue à 284 le
nombre d’enfants mendiants accompagnés et à 298, le nombre d’enfants mendiants
nonaccompagnés.
«
Kandi étant une commune fortement islamisée, la question de l’éducation est
confrontée à plusieurs handicaps », admet Bouko Yaya, deuxième adjoint au maire
de Kandi.
Faute d’une volonté politique forte, le phénomène bat son plein au détriment de la scolarisation des enfants, car pendant que les enfants mendiants négocient leur pain quotidien, leurs pairs sont à l’école ou dans les centres de formation professionnelle.
Risque d’enrôlement par les terroristes
La
mendicité n’est pas la seule gangrène qui touche certaines villes du nord,
notamment Kandi. La commune, située dans
une région frontalière avec le Niger, le Nigeria et le Burkina Faso, où le
terrorisme sévit, est aussi exposée aux menaces sécuritaires. Dans ce contexte,
les enfants hors de l’école deviennent une proie facile.
Selon la tribune intitulée « Education terrorisée. L’avenir de l’école dans les zones sous menaces terroristes au nord-Bénin », publiée en Avril 2024, 52,5 % d’enfants au Bénin sont contraints à travailler dont 40 % dans des conditions dangereuses. Certains départements sont plus affectés que d’autres comme l’Alibori (62 %) et le Borgou, (60 %). Même si ces chiffres ne sont pas forcément en rapport avec la déscolarisation en raison du terrorisme, la situation pourrait s’aggraver.
Bouko
Yaya, deuxième adjoint au maire de
Kandi, évoque l’oisiveté des jeunes comme facteur favorable au phénomène. « Il
est difficile d’enrôler un jeune non oisif », se convainc-t-il. Mais l’oisiveté
des enfants hors du système éducatif n’est pas la faute des terroristes.
Dr
Kamel Garba, enseignant chercheur à l’Uac, sociologue et planificateur de
l’éducation, pointe du doigt la responsabilité de l’Etat : « L’absence de
scolarisation crée un vide social et éducatif qui laisse les jeunes sans
repères ni perspectives. Ce vide est fréquemment exploité par les groupes
extrémistes et criminels qui recrutent parmi ces jeunes désœuvrés ».
Dans
une tribune publiée le 22 juillet 2025 dans le quotidien ‘’La Nation’’, il
avait déjà alerté sur le drame qui se joue en silence contre l’éducation. « Là
où l’on instruisait hier des enfants, on brûle aujourd’hui des cahiers. Quand
une porte de l’école ferme à cause du terrorisme, c’est plus qu’un bâtiment
qu’on perd : c’est un rempart de la République qui cède », avertit-il.
Louis
Tokpanou, Secrétaire permanent par intérim de la Commission nationale de Lutte
Contre la Radicalisation, l’Extrémisme violent et le Terrorisme au ministère de
l’Intérieur et de la Sécurité publique évalue le lien entre l’absence d’une
prise en charge scolaire et le risque de leur enrôlement par des individus
malintentionnés dans le contexte sécuritaire actuel à trois niveaux : « la
déscolarisation momentanée liée au contexte sécuritaire, le désœuvrement et
potentiel recrutement et les facteurs structurels aggravants ».
Sur
les terrains hostiles, les filles subissent une double vulnérabilité. Pour
l’Unesco, l’Alibori se distingue par un faible taux de fréquentation scolaire
globale, ce qui affecte particulièrement les filles. Le même département
affiche le plus bas taux brut de préscolarisation, avec 6,5 % selon l’Annuaire
statistique du ministère des Enseignements maternel et primaire, (2021-2022).
Ne sacrifiez pas les enfants
Le
renforcement du financement de l’éducation dans les zones à risque est perçu
comme une arme efficace contre le terrorisme.
Dans
une approche prospective, l’Etat, avec le concours de ses partenaires, devra
veiller au renforcement d’un plan de contingence et de résilience de
l’éducation dans un contexte de crise sécuritaire. Là-dessus, la tribune «
Education terrorisée. L’avenir de l’école dans les zones sous menaces
terroristes au nord-Bénin », préconise « le financement de la décentralisation
dans le secteur de l’éducation, car la décentralisation a l’avantage de
rapprocher la prise de décision locale des réalités locales... ».
Le
gouvernement et ses partenaires ne restent pas inactifs sur ce front. Au nombre
des actions de prévention du Bénin pour protéger les enfants hors de l’école
dans le contexte sécuritaire actuel, Louis Tokpanou souligne « le maintien à l’école
de certains d’entre eux par les paiements de contributions et fournitures
scolaires, les mises en apprentissage pour d’autres par paiements des frais et
matériels d’apprentissage, les équipements pour les regroupements
professionnels communautaires et les appuis à l’installation de bénéficiaires
».
L’enjeu
est aussi de renforcer les actions locales positives tout en travaillant à
transformer les représentations sociales qui limitent l’accès à l’école en
veillant à ne laisser aucun enfant en rade.
Mission
difficile peut-être, mais pas impossible, lorsqu’on sait qu’un bon
investissement dans la scolarisation des enfants est toujours bénéfique à tout
le pays. Les résultats des examens du Certificat d’études primaires 2025 à
Kandi et Parakou confirment qu’un franc injecté dans l’éducation des enfants
n’est jamais perdu.
« Un enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne. Le département de l’Alibori n’est pas resté à la queue cette année dans le cadre des examens de fin d’année, soit 85,61 % de taux de réussite », apprécie Bouko Yaya, deuxième adjoint au maire de Kandi. Le Borgou s’en est sorti la tête haute avec 95,18 % en devenant ainsi le 2e département à fort taux de réussite au Cep 2025 au plan national.
Financer l’éducation dans les milieux hostiles
«
L’investissement dans la scolarisation des enfants hors de l’école est un acte
stratégique de prévention des conflits et de construction de la paix sociale.
L’école offre un cadre structurant qui protège, socialise et canalise les
énergies des jeunes vers des trajectoires positives », soutient Dr Kamel Garba.
C’est
pourquoi, les acteurs rencontrés prônent l’inclusion
« d’une ligne budgétaire dédiée à l’exclusion scolaire dans chaque commune, un renforcement des capacités locales, et surtout une gouvernance transparente et participative ».
Pour
que ces stratégies puissent prospérer, il va falloir que les décideurs évitent
de disperser leurs efforts. « Pour que cet investissement soit réellement
efficace, il est crucial d’encourager la cartographie des interventions des
Ong, des Organisations de la société civile et des partenaires techniques et
financiers. Cette cartographie permettra de mieux cibler les zones
d’intervention, d’éviter les doublons, de repérer les zones négligées, et surtout
de renforcer la complémentarité des actions sur le terrain », indique le
sociologue.
Avec
leur impressionnante couverture (75 % en 2023, objectif 100 % en 2026), les
cantines scolaires illustrent les résultats significatifs lorsque l’on alloue
des moyens ciblés à l’éducation.
Parallèlement,
les transferts monétaires conditionnels parient sur le maintien des filles dans
le système éducatif scolaire jusqu’en classe de terminale. Cette initiative
vise l’accélération de la croissance économique et de la transition
démographique à travers l’augmentation du taux de rétention scolaire des
filles.
Au
Bénin, les données sont rares en ce qui concerne l’enrôlement des enfants dans
les groupes armés. Toutefois, selon certaines opinions, les stratégies
nationales mises en place pour prévenir l’extrémisme violent sont lentes et les
besoins des communautés, y compris des enfants, restent importants.
Si
rien n’est fait en faveur du renforcement du financement de l’éducation des
enfants hors de l’école, le phénomène deviendra un cercle vicieux.