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Jeunesse africaine: La grande désillusion urbaine !

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Luc Gnacadja Luc Gnacadja

L’Afrique, avec sa jeunesse en pleine expansion, fait face à une crise silencieuse : la désillusion urbaine. Alors que les villes africaines devraient tripler leur population d’ici 2050, les promesses de progrès socio-économiques liées à l'urbanisation tardent à se concrétiser. 

Par   Luc GNACADJA, le 27 sept. 2024 à 07h05 Durée 4 min.
#Luc GNACADJA #Jeunesse africaine

Avec 60 % de la population urbaine âgée de moins de 25 ans, cette jeunesse, malgré son potentiel immense pour la transformation du continent, fait face à une désillusion croissante. Face à des taux de chômage alarmants, à une corruption endémique et à l'inefficacité des systèmes démocratiques, nombreux sont ceux qui se sentent trahis et perdent espoir. Cette désillusion alimente deux mirages dangereux: l’émigration clandestine vers l’Occident, perçue comme une échappatoire, et une attirance accrue pour diverses formes d’extrémisme. Cette situation explosive est une véritable bombe à retardement pour l’avenir des villes africaines.

Le chômage des jeunes : une crise urbaine profonde

Le chômage des jeunes en Afrique atteint des proportions inquiétantes, notamment dans les zones urbaines. En moyenne, 60 % des chômeurs africains ont moins de 25 ans, et le taux de chômage des jeunes est deux à trois fois plus élevé que celui des adultes. Dans les villes, les opportunités économiques formelles sont limitées, obligeant les jeunes à se tourner vers l'économie informelle, qui est souvent précaire et sans protection sociale.

La montée de l’urbanisation, qui devrait amener des opportunités, n’a fait qu’aggraver ce déséquilibre. La majorité des jeunes urbains, bien que souvent mieux éduqués que leurs aînés, se retrouvent sans emploi stable. Ce chômage structurel nourrit un profond sentiment de frustration et d’abandon, poussant certains vers l’émigration ou l’extrémisme.

Corruption et exclusion : la jeunesse désabusée face à la démocratie

 

Un sondage récent dans 16 pays africains, rapporté par Jeune Afrique, met en lumière un autre aspect de la désillusion urbaine: 83 % des jeunes interrogés identifient la corruption comme le principal fléau affectant leurs villes. Ce problème endémique est perçu comme un obstacle majeur au développement, à la bonne gouvernance, et à la démocratie. Les promesses de gouvernance transparente et d’inclusion semblent inaccessibles aux jeunes, qui se sentent souvent exclus des processus décisionnels.

De plus, l’exclusion sociale est renforcée par l'absence d’une planification urbaine adaptée aux besoins de la jeunesse. Les jeunes sont rarement consultés dans les décisions relatives à l’aménagement des infrastructures et des services publics. Cela se traduit par un manque d’accès à des logements décents, à des transports publics fiables, et à des espaces urbains sûrs et inclusifs.

Décentralisation et planification participative : un impératif pour renforcer la démocratie en Afrique

 

Pour résoudre la crise urbaine, une décentralisation effective est cruciale. Il ne suffit plus de simplement transférer des pouvoirs aux collectivités locales ; il faut également permettre une réelle participation des jeunes aux processus de décision. Une gouvernance participative, où les jeunes peuvent s'exprimer, influencer les politiques et contribuer à la planification des infrastructures, est essentielle pour redonner du sens à la démocratie africaine. La planification des infrastructures et services publics doit répondre aux besoins spécifiques des jeunes, notamment en matière de logements, de transports publics fiables et abordables ainsi que d'espaces publics sécurisés, renforçant ainsi leur inclusion, leur capacité à façonner leur environnement et à réaliser pleinement leurs potentialités.

Investir dans l'économie urbaine : créer des opportunités pour la jeunesse

Il est parfois surprenant d’admirer la confiance, l’esprit d’entreprise et le goût du risque des jeunes qui choisissent l’émigration clandestine. Mais comment canaliser ces qualités vers l’entrepreneuriat et les investir dans l’économie urbaine pour créer des opportunités durables ?

C’est là tout le défi. Les villes africaines ont le potentiel de devenir des pôles d'innovation et de croissance en soutenant des secteurs clés tels que l’agribusiness, les technologies numériques, les énergies renouvelables et l’économie circulaire. Ces domaines en pleine expansion peuvent générer des emplois de qualité, adaptés aux compétences des jeunes, tout en adressant les problèmes de chômage et d'exclusion économique.

Les villes doivent aussi encourager l'entrepreneuriat chez les jeunes en facilitant l'accès aux financements, en créant des incubateurs d'entreprises et en promouvant des partenariats public-privé pour stimuler l'innovation. Il est tout aussi crucial de formaliser les emplois dans le secteur informel, qui constitue une grande partie de l'économie urbaine africaine, en le rendant plus durable et structuré.

Enfin, la promotion de l'innovation verte dans les villes peut non seulement résoudre certains défis environnementaux et de résilience climatique mais aussi créer de nouvelles opportunités économiques. En exploitant pleinement le potentiel de la jeunesse, les villes africaines ont l’opportunité de non seulement retenir leurs talents mais aussi de devenir des modèles de transformation économique et sociale pour l’avenir du continent.

Repenser les villes africaines pour une jeunesse réconciliée avec l'avenir

 

Aujourd'hui, la jeunesse africaine urbaine est piégée entre chômage, exclusion sociale, et manque de gouvernance crédible et participative. Pourtant, cette crise peut devenir une opportunité. En misant sur une décentralisation effective, une planification urbaine participative, et en renforçant le rôle des villes comme pôles de croissance, les centres urbains peuvent devenir des moteurs de transformation durable. En capitalisant sur le potentiel de leur jeunesse, les villes africaines pourraient se réinventer en véritables centres d'inclusion, d'innovation, et de développement, répondant aux aspirations de la génération actuelle tout en réconciliant démocratie et progrès■

 

*Architecte, Président de GPS-Development

Ancien ministre de  l’Environnement, de l’Habitat et de l’Urbanisme

Ancien Sous-Secrétaire Général des Nations Unies