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Intelligence artificielle et administration publique: Entre promesses d’efficacité et impératifs de contrôle

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Selon le juriste Dr Julien C. Hounkpè, l’intelligence artificielle apporte un réel potentiel d’efficacité et d’accès amélioré aux services, mais elle ne peut être déployée sans garanties solides Selon le juriste Dr Julien C. Hounkpè, l’intelligence artificielle apporte un réel potentiel d’efficacité et d’accès amélioré aux services, mais elle ne peut être déployée sans garanties solides

L’intelligence artificielle redéfinit l’action publique, mais son déploiement nécessite un encadrement rigoureux pour éviter dérives et zones d’ombre. Transparence, éthique, souveraineté numérique et supervision humaine doivent constituer les piliers d’une IA publique digne de confiance, selon le juriste et expert du numérique Dr Julien Coomlan Hounkpè.

 

Par   Julien Coomlan Hounkpè, le 17 déc. 2025 à 07h34 Durée 3 min.
#Intelligence artificielle

Longtemps associée à la science-fiction, l’intelligence artificielle est aujourd’hui un outil très concret qui bouleverses les habitudes. Les administrations publiques ne sont pas épargnées, elles qui utilisent de plus en plus des systèmes qu’elles ne maîtrisent pas toujours, fait observer Dr Julien Coomlan Hounkpè, enseignant-chercheur à l’Université d’Abomey-Calavi et auteur de Technology Law in Benin

(Wolters Kluwer, 2023).  

Au colloque international sur l’IA et les métiers de l’administration, tenu les 9 et 10 décembre à l’Ecole nationale d’administration à Abomey-Calavi, le juriste et spécialiste du numérique a souligné une transformation profonde de la manière dont l’Etat remplit ses missions. Les décisions sont plus rapides, mais parfois moins explicables. Les services deviennent plus accessibles, mais les risques de discriminations augmentent. Une équation qui s’avère délicate pour un secteur public fondé sur la transparence et l’équité.

Dans les pays africains où les ressources humaines et financières sont limitées, l’IA représente un levier stratégique. Elle permet d’automatiser les tâches répétitives, de réduire les délais, de détecter les fraudes ou d’analyser d’importants volumes de données. Il s’agit d’« une modernisation incontournable », insiste Dr Hounkpè.

Il en est de même pour l’accès aux services. Avec l’assistance 24h/24 via chatbots (programme simulant une conversation humaine interactive), l’adaptation automatique des services et une meilleure identification des besoins, l’Ia rapproche l’Administration des usagers. Elle transforme aussi son organisation interne, avec l’émergence de l’Etat-plateforme et de nouveaux métiers spécialisés.

Cette analyse rejoint celle de l’Organisation de coopération et de développement économiques (Ocde) qui estime que l’utilisation de l’IA par le secteur public peut « accroître la productivité, la réactivité des services publics et renforcer la reddition de comptes», dans un récent rapport intitulé « Gouverner avec l’intelligence artificielle : Etat des lieux et perspectives pour les fonctions essentielles de l’Etat » (Ocde, 2025) 

Une expansion plus rapide que la loi

Identification biométrique, interconnexion des registres, détermination de l’accès aux droits sociaux, détection de fraude, gestion des risques, plateformes intégrées, villes intelligentes, les applications de l’IA se multiplient. Au Bénin, certaines démarches relèvent encore davantage de l’automatisation que de l’IA véritable. Toutefois, le numérique prédictif gagne du terrain, même si des zones d’ombre inquiètent en termes de droit, d’éthique et de souveraineté.

Le juriste Hounkpè signale que l’encadrement juridique n’avance pas au même rythme que les technologies. L’absence de loi spécifique à l’IA, l’incertitude sur les responsabilités en cas d’erreur algorithmique, le manque de transparence des systèmes ou encore la nécessité d’un contrôle juridictionnel renforcé constituent des failles majeures, selon lui.

Il cite la décision du Conseil constitutionnel français du 12 juin 2018, qui rappelle que l’automatisation ne peut jamais se substituer à la légalité des décisions publiques. Cette jurisprudence fait figure de balise dans un paysage encore largement flou.

Aux défis juridiques s’ajoutent les enjeux éthiques, notamment les biais alimentés par des données imparfaites, la protection des données personnelles, la cybersécurité fragile, le profilage, la surveillance accrue. Or, « La confiance est l’élément indispensable de toute IA publique », prévient l’expert.

Des défis majeurs

Si l’Ia promet une gouvernance plus efficace, son usage recèle des menaces au nombre desquelles, l’Ocde pointe les biais algorithmiques, la dépendance aux fournisseurs technologiques, le manque de transparence et la fracture numérique, qui menacent d’exclure les citoyens les moins connectés.

La question de renforcement des compétences apparaît aussi comme l’un des points les plus critiques, selon Dr Hounkpè. Comme tares et lacunes à combler, il signale : la rareté des ingénieurs IA, l’insuffisance des infrastructures, la faiblesse des data centers et les coûts onéreux des projets de déploiement. Les administrations doivent aussi se doter d’organes d’audit algorithmique, de registres publics des algorithmes et garantir en toutes circonstances une supervision humaine, poursuit-il.

En toile de fond, c’est la souveraineté numérique qui se joue. La dépendance aux technologies étrangères, la localisation et le contrôle des données placent les Etats face à un risque stratégique majeur.

Il faut adopter l’intelligence artificielle, mais sans renoncer au contrôle, insiste Dr Hounkpè. «Seule une IA responsable permettra de bâtir une administration moderne, fiable et respectueuse des citoyens », conclut-il.