La Nation Bénin...
Les conflits entre agriculteurs et éleveurs rythment les saisons agricoles. Pourtant, derrière cette guerre générant des champs ravagés, des pertes de récoltes et de bétail et parfois des violences meurtrières, se cache une réalité plus complexe: une dépendance mutuelle qui rend toute rupture impossible.
Dans certaines localités du Bénin, une tension sourde s’installe dès que la saison des pluies pointe. Agriculteurs et éleveurs partagent un territoire trop restreint pour leurs ambitions respectives.
D’un côté, les champs de manioc, d’igname, de maïs, de sorgho ou d’arachide s’étendent à perte de vue. De l’autre, les troupeaux cherchent désespérément un pâturage de plus en plus rare. Dans les hameaux de Sékogourou à Kouandé, les mots ne suffisent plus à exprimer la douleur. Le conflit entre éleveurs et agriculteurs n’est plus une tension latente. C’est une réalité sanglante, marquée par des blessures, des décès et une peur persistante. Les récits se ressemblent et s’enchaînent, comme des refrains tragiques dans une vallée autrefois paisible. « Il n'y avait pas autant de conflits avant. Mais aujourd’hui, c’est devenu récurrent. Il y a deux ou trois ans, mon garçon a été violemment agressé pendant qu’il faisait paître le troupeau. Il a perdu un œil… », témoigne Farouk Ossabi, éleveur peulh de plus de 50 ans d’expérience. La douleur est d’autant plus grande qu’elle semble surgir d’un déséquilibre territorial. Le vieux pasteur évoque l’étendue des champs, les passages bouchés, les terres trop convoitées. Et lorsque l’espace vient à manquer, ce sont les relations humaines qui s’effondrent. Son voisin, Boubakar Abdoulaye Gorogado, parle avec la même gravité. Son histoire va plus loin puisque la mort en est résulté. « Mon petit frère a été tué à coups de machette lors d’une dispute liée à l’élargissement des champs… Il s’est effondré avant que nous arrivions. Il est décédé à l’hôpital», confie-t-il d’une voix tremblante, les yeux en larmes. Le deuil ne s’efface pas et la tension demeure. Aujourd’hui encore, il fait face à une tentative d’expulsion de ses terres par ses voisins agriculteurs. « Ils disent que leurs grands-parents étaient là avant nous. On est dans la discussion, heureusement que les autorités locales et les associations essaient de calmer les choses», précise-t-il. Ces récits mettent en lumière l’ampleur d’un malaise devenu structurel. La cohabitation entre agriculteurs et éleveurs est fragilisée par la pression foncière, l’absence de couloirs de passage sécurisés et la douleur encore vive dans les mémoires. A Kouandé, Kérou, Ouassa-Péhunco et autres, les terres ne se disputent plus seulement avec des actes administratifs. Elles se défendent aujourd’hui à coups de machettes ou par la force. Et ce sont les plus vulnérables, souvent les jeunes bergers ou les membres de familles sans appui qui en paient le prix fort.
Dans certaines localités du Bénin, une tension sourde s’installe dès que la saison des pluies pointe. Agriculteurs et éleveurs partagent un territoire trop restreint pour leurs ambitions respectives.
D’un côté, les champs de manioc, d’igname, de maïs, de sorgho ou d’arachide s’étendent à perte de vue. De l’autre, les troupeaux cherchent désespérément un pâturage de plus en plus rare. Dans les hameaux de Sékogourou à Kouandé, les mots ne suffisent plus à exprimer la douleur. Le conflit entre éleveurs et agriculteurs n’est plus une tension latente. C’est une réalité sanglante, marquée par des blessures, des décès et une peur persistante. Les récits se ressemblent et s’enchaînent, comme des refrains tragiques dans une vallée autrefois paisible. « Il n'y avait pas autant de conflits avant. Mais aujourd’hui, c’est devenu récurrent. Il y a deux ou trois ans, mon garçon a été violemment agressé pendant qu’il faisait paître le troupeau. Il a perdu un œil… », témoigne Farouk Ossabi, éleveur peulh de plus de 50 ans d’expérience. La douleur est d’autant plus grande qu’elle semble surgir d’un déséquilibre territorial. Le vieux pasteur évoque l’étendue des champs, les passages bouchés, les terres trop convoitées. Et lorsque l’espace vient à manquer, ce sont les relations humaines qui s’effondrent. Son voisin, Boubakar Abdoulaye Gorogado, parle avec la même gravité. Son histoire va plus loin puisque la mort en est résulté. « Mon petit frère a été tué à coups de machette lors d’une dispute liée à l’élargissement des champs… Il s’est effondré avant que nous arrivions. Il est décédé à l’hôpital», confie-t-il d’une voix tremblante, les yeux en larmes. Le deuil ne s’efface pas et la tension demeure. Aujourd’hui encore, il fait face à une tentative d’expulsion de ses terres par ses voisins agriculteurs. « Ils disent que leurs grands-parents étaient là avant nous. On est dans la discussion, heureusement que les autorités locales et les associations essaient de calmer les choses», précise-t-il. Ces récits mettent en lumière l’ampleur d’un malaise devenu structurel. La cohabitation entre agriculteurs et éleveurs est fragilisée par la pression foncière, l’absence de couloirs de passage sécurisés et la douleur encore vive dans les mémoires. A Kouandé, Kérou, Ouassa-Péhunco et autres, les terres ne se disputent plus seulement avec des actes administratifs. Elles se défendent aujourd’hui à coups de machettes ou par la force. Et ce sont les plus vulnérables, souvent les jeunes bergers ou les membres de familles sans appui qui en paient le prix fort.
Des vies liées malgré tout
Les deux communautés, agriculteurs et éleveurs sont liées par une interdépendance économique et sociale qui les oblige à cohabiter même dans la défiance. Sobabè Ikililou, agriculteur, mais aussi président des bouchers de Kouandé, possède plus de 30 hectares. Il en a vu des troupeaux dévaster ses champs. Pourtant, il ne peut piper mot. « Un boucher ne peut pas menacer un peulh, parce que je mange avec eux. Même si tu vois un Peulh détruire ton champ, tu ne peux que l’interpeller. Tu ne peux pas le frapper, car tu auras besoin de son bétail. Ce sont leurs bêtes qui nous nourrissent», reconnait-il. Derrière cette déclaration, un principe tacite se présente: quoi qu’il advienne, le lien économique entre les deux communautés les oblige à cohabiter. L’un fournit le lait et la viande, l’autre les cultures. L’un vend, l’autre achète. Quand l’un tombe, l’autre s’écroule aussi. Et ce lien, qu’aucune loi n’impose, aucune institution ne protège, tient par une forme de pacte implicite, ancestral, fait de compromis silencieux et de patience usée. Mais ce principe est mis à rude épreuve par une rivalité de survie. La cohabitation est souvent synonyme de conflits. « Chaque jour, c’est la bagarre. Les animaux dévastent nos champs. Mais je comprends aussi qu’il n’y a plus de place pour eux », fait savoir Opossi Kouagou, agriculteur à Kouandé. Le constat est donc que les terres cultivables grignotent les parcours de transhumance. Résultat, les éleveurs n’ont d’autre choix que de transgresser les limites des champs. Dans ces conditions, ils reconnaissent tous que les fautes sont partagées. Agriculteurs, éleveurs, manœuvres, chacun a sa part de responsabilité. La terre est à tous, mais aussi à personne. Et si la colère monte, elle est souvent réfrénée par une forme de conscience collective. Celle que la guerre ouverte ne profiterait à personne.
Un conflit générationnel et structurel
Ce qui alimente la crise, ce ne sont pas seulement les bœufs ou les plantations. Ce sont aussi les enfants qui guident les troupeaux, les manœuvres qui cultivent pour le compte d’urbains absents, et l’absence de régulation efficace. À Kouandé, Kérou ou encore Ouassa-Péhunco, les troupeaux sont souvent confiés à de jeunes bergers, parfois très jeunes, qui ne maîtrisent pas toujours les règles élémentaires de conduite du bétail ou qui sont dépassés par la taille du bétail. Pendant leurs moments de repos ou d’inattention, les animaux errent sans orientation, causant des intrusions involontaires dans les champs agricoles. À cela s’ajoute la montée de la méfiance, voire de la haine. Attikou Démo, éleveur à Fêtêkou dans la commune de Kérou, raconte la mort de son fils sourd-muet, lynché pour avoir conduit un troupeau dans un champ. Le conflit se nourrit alors de traumatismes, de rancunes, de vengeance. Pourtant, à l’origine, c’est bien un problème de ressources. Tchoumou Hamadou, leader traditionnel peulh, le dit clairement. « Le problème, c’est le pâturage. Même quand il y a entente, s’il n’y a pas de place pour les animaux, le conflit viendra », a-t-il indiqué. Les tentatives de résolution existent. Des comités locaux se forment, des chefs de village arbitrent, les autorités locales interviennent. Mais cela ne suffit plus. Boukary Idrissou, délégué à Sèkogourou dans la commune de Kouandé, l’affirme. « L’entente n’existe plus. Certains agriculteurs refusent même la médiation », informe-t-il. Le pire est que la tension a changé de nature. Ce ne sont plus uniquement des conflits liés aux cultures, mais des revendications de territoire, de propriété, de domination. Face à cela, des propositions émergent dont la création des aires pastorales réservées, la délimitation claire des couloirs de transhumance, l’instauration des comités mixtes de médiation. Mais la mise en œuvre traîne. L’État joue sa partition en mettant les outils politique et juridique en place. Le Haut commissariat à la sédentarisation des éleveurs a été créé et abat un travail formidable reconnu par les communautés, le Code pastoral est en vigueur, mais l’exécution sur le terrain n’est pas chose aisée.
Un couloir de passage tracé aujourd’hui est en même temps occupé dès le lendemain sans autre forme de procès.
Modèle de règlement
Un exemple de résolution pacifique de ces conflits donne l’espoir d’une cohabitation harmonieuse. Dans le petit village de Gbahouto Béképeulh dans la commune de Kouandé, un incident aurait pu dégénérer en affrontement sanglant. Les bêtes de l’éleveur Bakary Tanga ont envahi et dévasté le champ de manioc de Salifou Moumouni, un agriculteur à la voix respectée dans la commune. Ce dernier n’est pas un inconnu dans la région avec ses cultures de maïs, riz, manioc, coton, anacarde… qui font de lui un acteur agricole majeur. Lorsque les faits se produisent, les tensions sont palpables. Les deux protagonistes se présentent sur les lieux du différend, chacun avec ses appuis et avec une prudence qui laisse entrevoir le risque d’escalade. Coupe-coupe et haches posés à proximité. Mais la sagesse et l’expérience des autorités locales vont permettre d’éviter le pire. Face à la situation, les responsables communautaires, dont le chef du village Wourahi Nakparo, interviennent rapidement. En présence de conseillers, de membres d’associations d’éleveurs et d’autorités traditionnelles, un dialogue s’engage. Salifou Moumouni, bien que visiblement irrité, rappelle avec insistance l’importance de la coexistence entre agriculteurs et éleveurs. «Dans le bon vieux temps, il n’y avait pas un agriculteur sans un éleveur à ses côtés… Ce sont nos frères, on est obligés de rester ensemble», dit-il. Pour lui, la rupture du dialogue est le vrai danger. «Lorsque le conflit s'exacerbe, c’est qu’il y a vengeance, et là, la fin n’est jamais bonne », fait-il savoir. Le chef du village, Wourahi Nakparo, décrit une procédure bien rodée. En cas de divagation ou de conflit, il convoque les deux parties, procède à une vérification sur le terrain, puis tente une conciliation. Si la faute est avérée, il propose des excuses au nom de l’éleveur et, si nécessaire, entame des négociations pour un dédommagement. Dans le cas présent, c’est ce schéma qui a été suivi. Bakary Tanga a finalement accepté de verser 80 000 F Cfa à Salifou Moumouni. L’incident s’est clos par une poignée de main et des engagements verbaux de ne plus reproduire les mêmes erreurs.
Gouvernance locale active
Sur un autre front, à Bouerou, dans la commune de Ouassa-Péhunco, une scène inédite se déroule. Le vieux Karim, cultivateur dans la commune, réclame 500 000 F Cfa de dommages causés par des bœufs. Face à un éleveur qui reconnaît les faits mais refuse de coopérer, l’équipe de médiation composée de Orou Sourou Issiaka, chef d’arrondissement, Issa Amadou Froudounga, tête couronnée de la commune, et le commissaire, fait preuve de fermeté. Après l’échec du règlement à l’amiable, la police convoque les parties et un accord est trouvé pour 50 000 F Cfa de réparation. « Nous faisons tout notre possible pour faciliter la cohabitation pacifique entre les deux communautés. Le sol n’est pas extensible et chacun doit faire des concessions», confie Orou Sourou Issiaka, chef d’arrondissement de Ouassa-Péhunco. Des propos appuyés par Issa Amadou Froudounga, tête couronnée de la commune de Ouassa-Péhunco qui joue aussi un rôle crucial dans le règlement des conflits. « Nos ancêtres ont vécu ensemble sans ces conflits. Le Peulh ne fera pas paître ses bêtes au ciel, l’agriculteur ne cultivera pas au ciel non plus. Il faut que chacun concède à l’autre une place», exhorte-t-il. De cette démarche de règlement, des comités multi-acteurs ont été mis en place grâce aux réformes nationales. Élus, représentants d’éleveurs, agriculteurs et techniciens y siègent pour évaluer les dégâts et proposer des solutions concrètes.
Ces deux exemples montrent que le dialogue, lorsqu’il est structuré et soutenu par une volonté politique locale, peut limiter les violences. Mais il reste fragile. Ainsi, les recommandations fusent et convergent. Il est proposé d’appliquer effectivement le Code pastoral, de réprimer ceux qui obstruent les couloirs de passage, de renforcer la sédentarisation accompagnée, avec accès au foncier, à l’eau et à l’alimentation animale, d’étendre les pratiques comme la culture de fourragères, qui, à Kérou par exemple, ont permis d’apaiser les tensions autour des pâturages.
L’option des cultures fourragères
Face aux conflits récurrents, des initiatives locales comme la plantation de fourragères ouvrent la voie à des solutions durables. A Kérou, un souffle d’espoir se dessine dans la lutte contre les conflits agro-pastoraux. Des initiatives concrètes, portées par des acteurs de terrain, laissent entrevoir un avenir plus serein. Parmi elles, la promotion de la culture de fourragères s’impose progressivement comme une réponse adaptée aux enjeux de l’élevage moderne et de la sédentarisation. L’idée n’est pas nouvelle. Gaston Dossouhoui, ministre de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche, a, à plusieurs reprises, invité les éleveurs à investir dans la culture de plantes fourragères pour nourrir leur bétail localement, évitant ainsi les longues transhumances souvent sources de tensions. Un appel que certains jeunes de Kérou ont décidé de prendre au sérieux. Ainsi, des jeunes ont pris l’initiative de planter des fourragères sur des terres mises à disposition par les autorités locales. Cette action, encore modeste mais symboliquement forte, marque un tournant dans la mentalité pastorale traditionnelle. « L'éleveur, sans le fourrage et les points d'eau, ne peut plus nourrir les animaux aujourd’hui», indique Hamadi Isaka, membre actif de l’Association pour la promotion de l’élevage au Sahel et en savane (Apess). Dans ce sens, l’association a initié, l’an dernier, un projet expérimental de culture fourragère sur des terrains attribués par l’État et la mairie. « Aujourd’hui, tous les bœufs qui sont dans la zone viennent brouter ici. On a pris en même temps la zone pour protéger les bœufs. Il faut que l’État nous aide à vulgariser cette approche », informe-t-il. L’expérimentation est prometteuse, mais elle reste fragile. Hamadi Isaka regrette que les engagements d’appui de l’État en engrais, fichage, herbicides n’aient pas encore été concrétisés.
Véritable porte de sortie
Djibo Salifou, éleveur et président de la section Apess à Kérou, insiste sur cette initiative qui est une vraie porte de sortie de crise. « Il faut que les éleveurs optent désormais pour la culture de fourragères. Parce que l'éleveur, sans le fourrage et les points d'eau, ne peut pas nourrir ses animaux », souligne-t-il. Cette prise de conscience est cruciale. Elle nécessite un accompagnement structuré de l’État et de ses partenaires pour faire des cultures fourragères une pratique répandue, accessible et rentable. Les initiatives locales comme celle de Kérou démontrent qu’il est possible d’avancer vers une cohabitation pacifique entre agriculteurs et éleveurs. Elles méritent d’être consolidées, amplifiées et soutenues. Former les jeunes à la culture de fourragères, attribuer des terres aménagées, garantir l’accès aux semences, engrais et intrants, mais aussi faire respecter les textes législatifs en vigueur, tels sont les leviers à actionner pour garantir un avenir apaisé aux zones rurales du Bénin où sévissent encore les conflits entre agriculteurs et éleveurs. Dans cette dynamique, les expériences locales deviennent des modèles reproductibles et chaque parcelle de terre cultivée pour les animaux devient un terrain conquis pour la paix.
La solution aux conflits agropastoraux ne viendra donc ni du silence ni du choc. Elle viendra peut-être de cette prise de conscience que, malgré la violence, il y a un socle commun à préserver. Un peu comme ces bouchers qui, bien qu’agriculteurs lésés, continuent de fraterniser avec les éleveurs. Parce qu’il y a des ponts qu’on ne peut pas brûler et que parfois, même dans la discorde, certaines alliances sont indissolubles.