La Nation Bénin...
Un an après l’installation de la 7ᵉ mandature de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication
(Haac), Basile Tchibozo, conseiller au sein de l’institution, dresse un bilan
des réformes engagées. Assainissement du paysage médiatique, régulation des
radios, sanctions, Tnt, respect de la déontologie, relance de l’aide à la
presse, formation continue des professionnels… Il revient sur les grands
chantiers ouverts et les défis qu'il reste à relever. Une interview sans
détour, qui révèle les ambitions d’une équipe décidée à marquer l’histoire de
la régulation des médias au Bénin.
La Nation : Cela fait un an que la 7e mandature de la Haac est en fonction. Quel regard portez-vous sur les grands chantiers ouverts depuis l'installation de l'équipe dirigée par le président Édouard Loko ?
Basile Tchibozo : Le 22 juillet 2024, nous avons été
investis par le Chef de l’État. Deux jours plus tard, le 24 juillet
précisément, le bureau a été installé et nous avons immédiatement entamé nos
travaux. Dès sa prise de fonction, le président Édouard Loko a utilisé une
formule forte: « ramener l’église au milieu du village ». Il fallait engager
des réformes profondes car notre presse souffre, malade de ses pratiques et de
certains acteurs. Il fallait soigner ces gangrènes, parfois sans “anesthésie”.
Le premier grand chantier a donc été l’assainissement. Nous avons constaté de
nombreuses irrégularités dans les secteurs de la radio, de la télévision, de la
presse écrite et en ligne. Nous avons lancé une vaste opération de
régularisation. Toutes les radios dont les conventions avaient expiré ont été
invitées à se mettre en règle. Ce fut une bataille difficile car de nombreux
contrats, tant dans les radios que les télévisions, étaient en suspens.
Aujourd’hui, ce dossier est en grande partie clarifié. Un autre chantier majeur
concerne la Télévision Numérique Terrestre (Tnt) et le multiplexage. Bien que
le Bénin dispose officiellement de la Tnt, celle-ci reste peu accessible.
Environ une trentaine de chaînes sont disponibles, mais les décodeurs dorment
dans les mairies, ce qui est absurde. Près de 30 milliards de francs Cfa ont
été investis. Il est urgent de réformer l’accès à la Tnt, de revoir le type de
décodeurs et de les rendre plus accessibles, à l’image du modèle sénégalais, où
le dispositif est pleinement opérationnel. Parallèlement, nous avons nettoyé le
multiplex en supprimant les chaînes obsolètes telles qu’Agri-Tv ou Imala-Tv.
Nous avons relancé le multiplex de la Tnt, permettant aux chaînes agréées d’être accessibles via ce service. La distribution des décodeurs reste insuffisante. Des actions sont en cours pour y remédier. Parallèlement, le système de monitoring médiatique, anciennement Hms, évolue vers Hms Plus, intégrant désormais la radio et la presse écrite. Bientôt complété par une version locale adaptée, ce nouvel outil assure une veille rigoureuse et déclenche des autosaisines. Les plaignants obtiennent une réponse sous 72 heures, sous la supervision d’un chef de la déontologie. Un vaste assainissement du secteur médiatique est en cours. Les radios doivent maintenant régulariser leurs conventions et leurs paiements au Trésor, mettant fin aux usages prolongés. Concernant la presse écrite, seulement 10 % des journaux enregistrés (44 titres) respectent le dépôt légal, alors que plusieurs n’ont ni locaux ni personnels dignes. Nous avons mis en place une évaluation progressive avec un seuil minimum, identifiant deux hebdomadaires, quarante-quatre quotidiens et un périodique reconnu. Cette liste, communiquée après rappels successifs, n’est pas punitive mais exige le respect des règles. Cette démarche conditionne l’accès aux aides publiques : seules les entreprises de presse légalement constituées, employant des journalistes titulaires d’une carte de presse, pourront en bénéficier. Le processus de demande et de renouvellement de la carte de presse est désormais numérique et appuyé par un audit national. Nous exigeons que les médias disposent d’équipements, de locaux et de personnel adéquats. Les « arrangements » ne sont plus tolérés ; la professionnalisation est notre ligne directrice.
Quel rôle avez-vous joué dans cette dynamique et que faut-il en retenir ?
Nous occupons le poste de deuxième rapporteur au sein du
bureau, une position stratégique nous permettant de participer pleinement à la
gouvernance. Et nous remplissons ce rôle avec implication et détermination.
Sous la présidence d’Édouard Loko, journaliste applaudi pour son courage, son
équité et son humour, l’institution s’est rénovée. En un an, notre équipe a
accompli l’équivalent de cinq années de travail sans laisser de dossiers en
suspens, grâce à un fonctionnement démocratique et concerté, où les décisions
sont désormais prises collectivement lors des sessions plénières
bihebdomadaires. Nous avons enfin révisé le règlement intérieur, le premier
depuis vingt ans en réduisant le nombre de conseillers et de commissions de
huit à cinq, et en transformant les chefs d’antennes régionales en directeurs
régionaux. Ces changements institutionnels visent à moderniser et à rendre plus
efficace l’institution. Le retour symbolique du mouton lors de la célébration
du 3 mai témoigne d’un renouveau authentique dans la culture de la Haac.
Quelles sont les actions concrètes menées par la Haac pour accompagner la professionnalisation des médias ?
L’Etat à travers l’institution soutient davantage la
professionnalisation des journalistes. Former les journalistes est une
nécessité. La formation est donc un pilier de notre mandat. Nous avons lancé
trois cycles de formation, d’abord pour les médias en ligne, mais qui
concernent aussi les médias classiques : presse écrite, radios, télévisions.
Nous avons également relancé les formations à la vérification des informations.
Et avec les élections générales qui arrivent, d’autres sessions viendront pour
rappeler le rôle du journaliste en période électorale. La Haac, en partenariat
avec Cfi, a organisé trois sessions pour les médias en ligne, et d’autres sont
prévues pour la presse traditionnelle. En vue des élections de 2026, un
programme spécifique pour le traitement de l’information électorale est en préparation.
Le numérique et l’intelligence artificielle seront au cœur du trentième
anniversaire de la Haac en ce mois de juillet avec un sommet de deux jours
soutenu par le gouvernement. Sur le plan international, nous avons reçu
plusieurs ambassadeurs et mené des missions fructueuses, renforçant les
partenariats et les opportunités de formation mondiales. Enfin, dans la
publicité, le Bureau de Vérification de la Publicité, créé selon l’article 517
du Code de l’information, entrera en fonction. Cet organe, composé
d’annonceurs, d’afficheurs et d’un secrétariat coordonné par la Haac,
contrôlera toute publicité avant et après diffusion, sanctionnera les
infractions et garantira une répartition plus juste des espaces médiatiques. La
Haac entre ainsi dans une ère de rigueur, de transparence et de responsabilité.
Modernisation institutionnelle, professionnalisation, réactivité et régulation
équitable sont désormais au cœur de notre action. L’avenir de notre profession
repose sur l’engagement collectif. Chacun doit assumer ses responsabilités.
Il y a eu également des décisions importantes en matière de délivrance ou de suspension d’autorisations. Un autre grand axe, c’est l’assainissement du contenu médiatique. La régulation ne concerne pas seulement les structures, mais aussi ce qui est diffusé. Nous avons constaté de nombreuses dérives. Il fallait prendre des décisions fermes, suspendre certains médias qui ne respectaient pas les règles, qui n’ont pas d’existence légale ou qui violent régulièrement la déontologie journalistique. À cet effet, nous avons déployé 30 analystes qui observent quotidiennement les contenus des radios, télévisions et médias en ligne. Ils produisent des rapports systématiques et déclenchent les mécanismes de régulation. Notre travail s’appuie sur plusieurs textes de référence dont le Code de l'information et de la communication, le Code du numérique, les lois sur la Tnt, mais aussi le Code de déontologie des médias. Grâce à ce dispositif, plusieurs organes de presse ont été suspendus, et certains récépissés ont été retirés. Par ailleurs, un travail important est en cours sur les médias en ligne. Une nouvelle vague d’autorisations est en préparation. À ce jour, 52 médias en ligne ont déjà été autorisés. Une nouvelle série viendra s’ajouter à cette liste. Cette fois-ci, les normes réglementaires ont été considérablement renforcées.
Vous l’avez dit vous-même, plusieurs médias ont été suspendus. Cela a suscité beaucoup de réactions. Certains estiment que la Haac adopte une posture plus dure à l’égard des médias. Que répondez-vous à cela ?
Les faits sont là. Les médias suspendus, comme Le
Patriote, ont été rétablis. Il s’agissait de mesures conservatoires ou
disciplinaires, destinées à rappeler les règles du métier. Le but n’est pas
d’éliminer, mais de redresser. D’ailleurs, ceux qui disent que nous sommes trop
sévères devraient constater que Le Patriote, par exemple, est revenu. Madame
Actu et Reporter Bénin Monde sont actuellement en présélection pour figurer sur
la prochaine liste. Si nous voulions les exclure, ils ne seraient même pas en
présélection. De plus, de nombreux médias évoluent aujourd’hui sans
autorisation légale. Pourtant, ils ne sont pas interdits de paraître ou de
diffuser. Cela montre bien que la Haac agit seulement quand les manquements
sont graves, notamment en matière de déontologie. Mais il faut être clair :
quand un média est illégal et indélicat, et qu’en plus il viole la déontologie,
alors la Haac intervient. Et nous le faisons de manière pédagogique. Quand nous
suspendons un média, ce n’est pas pour l’éliminer définitivement, mais pour
l’amener à se régulariser. Prenez la dernière liste des organes de presse
autorisés : 59 au total, dont 44 quotidiens, deux hebdomadaires, six
bi-hebdomadaires, etc. Certains n’y figurent pas, mais cela ne signifie pas
qu’ils ont été interdits.
On a l’impression aussi que certains organes de presse sont des privilégiés et même sans respecter les règles, ils ne subissent aucune sanction. Certains ne signent plus de contrats médias, ne publient pas régulièrement, n’observent pas les obligations de dépôt légal... Pourtant, ils continuent à être invités à des manifestations officielles. Qu’en pensez-vous ?
C’est vrai. Ils ne sont pas suspendus, mais ils sont
classés. Ce que les gens ne comprennent pas, c’est que le dépôt légal est une
exigence fondamentale. C’est la fonction principale d’un organe reconnu par
l’administration. Autrefois, on recevait quelques dizaines de journaux en dépôt
à la Haac. Aujourd’hui, ce chiffre a encore baissé. Et pourtant, pour la
dernière liste d'organes reconnus, nous n’avons exigé que
10 % de conformité au dépôt légal. Oui, seulement 10 % ! Et malgré cela, nous n’avons pu retenir qu’une cinquantaine d’organes. Imaginez si nous exigions 20 %, ou pire, 100 % de conformité : nous n’aurions même pas cinq organes de presse réguliers au Bénin. Autrement dit, si nous étions dans une logique de rigueur extrême, comme on peut le voir dans certains pays comme la Guinée ou le Sénégal, nous aurions dit : « C’est 100 %, pas de dépôt légal, pas d’existence légale. » Et là, ce serait la fermeture automatique.
Peut-on s’attendre à ce que le président de la Haac fasse usage, durant son mandat, de son pouvoir de suspension des médias, comme cela a été le cas par le passé ?
Pour le président de la Haac, ce qui compte le plus, c’est l’exemplarité. Je vais vous faire une confidence : dans l’affaire Bénin Web Tv, c’est lui-même qui souhaitait qu’on lève la sanction dès le départ. Mais ce sont nous autres conseillers, agacés par l’attitude provocante de cet organe, qui avons insisté pour qu’on prolonge la sanction. C’est donc une décision collective. Et donc, je ne pense pas qu’il suspendra des médias, sauf cas extrême. Sauf si un organe bascule dans ce que nous appelons la « zone rouge » : appel au crime, à la partition du pays, division ethnique, incitation à la haine religieuse ou clanique. Dans ces cas-là, il n’y a pas de tolérance, et tout président de la Haac, quel qu’il soit, doit agir fermement.
L’aide de l’État à la presse est suspendue depuis des années. La Haac en fait-elle une priorité ? Quelles actions ont été entreprises ?
C’est une grande priorité. Dès son premier discours, le président de la Haac l’a affirmé qu’il faut rétablir l’aide de l’État à la presse. Ce n’est pas un simple souhait, c’est une disposition légale. Le Code de l’information et de la communication, notamment les articles 37 à 40, prévoit clairement cette aide. L’article 38 stipule que l’État doit aider les médias. L’article 39 institue un fonds d’aide à la presse. Et l’article 40 prévoit un allègement fiscal pour les organes de presse. Ce sont des droits. On ne peut pas ignorer que la presse joue un rôle essentiel dans la démocratie. Son indépendance, son existence même, dépendent en partie de cette aide. L’information est un produit éphémère : ce que vous publiez à 7h est dépassé à 7h05. Comment une industrie aussi fragile peut-elle survivre sans appui ? Même d’autres secteurs bénéficient d’exonérations douanières ou fiscales. Pourquoi pas les médias ? L’État doit donc faire un effort. Et nous sommes en discussion pour récupérer, au moins partiellement, les dix années d’aides impayées.
Quelles sont vos priorités pour la deuxième année de la mandature ?
Nous allons continuer nos missions : régulation, contrôle
déontologique, autorisation et suivi des médias, signature des conventions,
perception des redevances. Nous préparons aussi la célébration des 30 ans de la
Haac avec une conférence internationale prévue du 9 au 11 juillet prochain. Par
ailleurs, nous avons décidé que désormais, la Journée des professionnels des
médias se tiendra à la Haac. Cette année, ce fut un vrai moment de fraternité,
de retrouvailles. C’est important pour une corporation.
Nous travaillons aussi à renforcer la veille technologique. L’intelligence artificielle, par exemple, présente un risque réel : la possibilité de truquer des voix, des visages... Nous devons anticiper. Nous allons moderniser notre système de monitoring, le Hms, pour suivre en temps réel les contenus diffusés sur toutes les radios. Et enfin, nous voulons numériser le système de dépôt légal, aujourd’hui dépassé. Bref, nous sommes sur la bonne voie, et par la grâce de Dieu, nous tiendrons nos cinq ans de mandat. Et à la fin, vous jugerez vous-mêmes : l’église sera non seulement au milieu du village, mais tous les villages seront au milieu de l’église.
Basile Tchibozo, conseiller à la Haac